1) Pierre, Prince des Apôtres
Comment, après avoir parlé de saint Paul, l’Apôtre des Nations, l’année dernière pour l’Année Paulinienne, ne pas évoquer la figure de saint Pierre, l’autre Colonne de l’Eglise ?
Qui, se rendant à Rome, dans la Basilique vaticane, n’a pas touché, en signe de vénération, le pied – ô combien usé ! – de la statue en bronze de saint Pierre ? Une légende raconte que cette statue du XIIIème siècle aurait été façonnée avec le bronze de la statue de Jupiter du temple du Capitole.
En Provence maritime par exemple, il n’y a pas un village de pêcheurs qui, fin juin, n’ait sa procession de la Saint-Pierre ! La statue de l’Apôtre est hissée sur un bateau qui l’amène sur les flots pour bénir la mer…
Comme l’Apôtre des Nations, il a deux fêtes : la Solennité commune avec saint Paul le 29 juin et, le 22 février, la Chaire de saint Pierre que nous célébrons ce mois-ci. Cette fête, nous dit le Missel Romain, « rappelle la mission que le Christ a confiée à son Apôtre. Pierre est le garant infaillible de la foi de ses frères ; la foi de Pierre est le rocher sur lequel le Seigneur a bâti son Eglise. »
Il a été surnommé le « Prince des Apôtres » en raison de sa primauté sur le Collège apostolique. Tous les Papes – qui sont Evêques de Rome – se sont déclarés ses successeurs et ses héritiers légitimes, jusqu'à Benoît XVI qui est le 265ème Pape.
Qui est Pierre ?
C'est assurément avec Paul l'un des personnages du Nouveau Testament dont nous avons le plus de renseignements. Après Jésus, Pierre est le personnage le plus célèbre et le plus cité dans les écrits du Nouveau Testament ; nous avons comme sources les quatre Evangiles, les Actes des Apôtres et deux Epîtres.
Nous connaissons ses noms : Simon (de l'hébreu "Chimône" : Il a entendu ma souffrance), Pierre ou Céphas, « Tu es Simon, le fils de Jean ; tu t'appelleras Céphas - ce qui veut dire Pierre. » (Jn 1,42) – son métier : il est pêcheur du village de Capharnaüm sur la mer de Galilée ou lac de Tibériade, « Comme il passait sur le bord de la mer de Galilée, Jésus vit Simon et André, le frère de Simon, qui jetaient le filet dans la mer ; car c'étaient des pêcheurs » (Mc 1,16) – sa ville d’origine : Bethsaïde, « Philippe était de Bethsaïde, la ville d'André et de Pierre » ( Jn 1,44) – sa famille : il a un frère, « Lorsqu'il fit jour, Jésus appela ses disciples et il en choisit douze, qu'il nomma apôtres : Simon, qu'il nomma Pierre, André son frère… » (Lc 6,13-14) ; il est marié, « Étant venu dans la maison de Pierre, Jésus vit sa belle-mère alitée, avec la fièvre » (Mt 8,14) – son tempérament, son caractère : entier et impulsif, « A dater de ce jour, Jésus commença de montrer à ses disciples qu'il lui fallait s'en aller à Jérusalem, y souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué et, le troisième jour, ressusciter. Pierre, le tirant à lui, se mit à le morigéner en disant : « Dieu t'en préserve, Seigneur ! Non, cela ne t'arrivera point ! » (Mt 16,21-22), capable du meilleur « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16,16)… comme du moins bien, « Je ne connais pas cet homme dont vous parlez » (Mc 14,71) – il est, aussi, touchant, « Seigneur, tu sais tout, tu sais bien que je t’aime » (Jn 21,17).
Chaque chrétien peut se retrouver en la personne de Pierre !!!
II fut présent, ainsi que Jacques et Jean, à certains grands moments de la vie de Jésus. Par exemple, il fut un témoin privilégié de la Transfiguration du Seigneur, « prenant avec lui Pierre, Jean et Jacques, Jésus gravit la montagne pour prier » (Lc 9,28), de la résurrection de la fille de Jaïre, « Arrivé à la maison, Jésus ne laissa personne entrer avec lui, si ce n'est Pierre, Jean et Jacques, ainsi que le père et la mère de l'enfant » (Lc 8,51), ainsi que de son « Agonie » au Jardin des Oliviers, « Et prenant avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée, il commença à ressentir tristesse et angoisse. » (Mt 26,37)
La Tradition atteste qu'il est mort crucifié la tête en bas, dans le Cirque de Néron à Rome. Sur son tombeau a été construite la plus grande, et certainement une des plus belles églises du monde, centre mondial de pèlerinage de toute l'Eglise Catholique, la Basilique Sain-Pierre du Vatican.
L’appel des premiers disciples
Les quatre évangiles divergent un petit peu à propos de la rencontre de Jésus avec ses tout premiers disciples et de l’appel à le suivre qu’il leur lança.
Dans l’évangile johannique, c’est d’abord deux disciples de Jean-Baptiste qui entrent en contact avec Jésus ; l’un des deux hommes est André : « Le lendemain, Jean le Baptiste se tenait là, de nouveau, avec deux de ses disciples. Regardant Jésus qui passait, il dit : “Voici l'agneau de Dieu.” Les deux disciples entendirent ses paroles et suivirent Jésus. Jésus se retourna et, voyant qu'ils le suivaient, leur dit : “Que cherchez-vous ?” Ils lui dirent : “Rabbi - ce qui veut dire Maître -, où demeures-tu ?” Il leur dit : “Venez et voyez.” Ils vinrent donc et virent où il demeurait, et ils demeurèrent auprès de lui de jour-là. C'était environ la dixième heure. André, le frère de Simon-Pierre, était l'un des deux qui avaient entendu les paroles de Jean et suivi Jésus. Il rencontre en premier lieu son frère Simon et lui dit : “Nous avons trouvé le Messie” - ce qui veut dire Christ. Il l'amena à Jésus. » (Jn 1,35-42)
Dans les évangiles synoptiques, très proches dans leurs textes, Jésus appelle comme premiers disciples Simon et son frère André, ainsi que Jacques et Jean. Prenons, par exemple, l’évangile de Matthieu : « Comme il cheminait sur le bord de la mer de Galilée, il vit deux frères, Simon, appelé Pierre, et André son frère, qui jetaient l'épervier dans la mer ; car c'étaient des pêcheurs. Et il leur dit : “Venez à ma suite, et je vous ferai pêcheurs d'hommes.” Eux, aussitôt, laissant les filets, le suivirent. Et avançant plus loin, il vit deux autres frères, Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère, dans leur barque, avec Zébédée leur père, en train d'arranger leurs filets ; et il les appela. Eux, aussitôt, laissant la barque et leur père, le suivirent. » (Mt 4,18-22) Même si les textes évangéliques diffèrent quelque peu entre Jean et les autres, Simon-Pierre fait partie des premiers disciples ; cela est indéniable.
La rencontre décisive
Pierre appartient donc au groupe des premiers disciples. Mais il a sans doute pris conscience de l’importance, voire de la difficulté, peut-être même de l’impossibilité, de suivre le Maître après le fameux épisode de la pêche miraculeuse. Pour l’évangéliste Luc, ce fut à cet instant-là le déclic. Tout d’abord Jésus monta dans une des barques, qui était à Simon, et pria celui-ci de s'éloigner un peu de la terre ; puis, s'étant assis, de la barque il enseignait les foules. « Et ainsi, la barque de Pierre devient la Chaire de Jésus. » (Benoît XVI) « Quand il eut cessé de parler, Jésus dit à Simon : “Avance en eau profonde, et lâchez vos filets pour la pêche.” Simon répondit : “Maître, nous avons peiné toute une nuit sans rien prendre, mais sur ta parole je vais lâcher les filets.” Et l'ayant fait, ils capturèrent une grande multitude de poissons, et leurs filets se rompaient. Ils firent signe alors à leurs associés qui étaient dans l'autre barque de venir à leur aide. Ils vinrent, et l'on remplit les deux barques, au point qu'elles enfonçaient. A cette vue, Simon-Pierre se jeta aux genoux de Jésus, en disant : “Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur !” La frayeur en effet l'avait envahi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, à cause du coup de filet qu'ils venaient de faire ; pareillement Jacques et Jean, fils de Zébédée, les compagnons de Simon. Mais Jésus dit à Simon : “Sois sans crainte ; désormais ce sont des hommes que tu prendras.” Et ramenant les barques à terre, laissant tout, ils le suivirent. » (Lc 5,4-11)
N’est-ce pas cette crainte biblique, mêlée de stupeur et de respect, qu’a ressentie Pierre face à cet événement spectaculaire ? Ce pêcheur aguerri savait que le lac était très poissonneux, mais aussi capricieux – n’avaient-ils pas peiné toute la nuit sans rien prendre dans leurs filets ? – Cette pêche était trop exceptionnelle ! Etait-ce un signe du Ciel ? Simon comprend… Il voit en Jésus un envoyé de Dieu. Il se sent indigne… Aux paroles pleines d’humilité de ce pêcheur ébahi devant ce miracle, Jésus répond et rassure avec des paroles d'amour : « Sois sans crainte… » Pierre « accepte cet appel surprenant, de se laisser entraîner dans cette grande aventure : il est généreux, il reconnaît ses limites, mais il croit en celui qui l'appelle et suit le rêve de son cœur. Il dit oui - un oui courageux et généreux -, et devient le disciple de Jésus. » (Benoît XVI)
La confession de Pierre
Les évangiles synoptiques rapportent un événement très important, autre moment décisif dans la vie de Pierre. En effet, Jésus demanda à ses Apôtres ce que disaient les gens à son sujet. Le texte le plus court est celui de Marc : « Jésus s'en alla avec ses disciples vers les villages de Césarée de Philippe, et en chemin il posait à ses disciples cette question : “Qui suis-je, au dire des gens ?” Ils lui dirent : “Jean le Baptiste ; pour d'autres, Élie ; pour d'autres, un des prophètes.” - “Mais pour vous, leur demandait-il, qui suis-je ?” Pierre lui répond : “Tu es le Christ.” Alors il leur enjoignit de ne parler de lui à personne. » (Mc 8,27-30) Cette confession de Pierre tient une place centrale dans l’évangile de Marc. Jusque là, Jésus était apparu comme un homme extraordinaire. Il enseignait avec autorité, il chassait les esprits impurs, il opérait des miracles… Les foules l’ « adulaient » ! « Et sa renommée se répandit aussitôt » (Mc 1,28) ; « Tout le monde te cherche » (Mc 1,37) ; « Jamais nous n’avons rien vu de pareil » (Mc 2,12) ; « Qui est-il donc celui-là, que même le vent et la mer lui obéissent ? » (Mc 4,41) ; « Son nom était devenu célèbre » (Mc 6,14). Mais à chaque fois, Jésus interdisait que l’on parle de lui et de ses œuvres. Comme aux esprits impurs qu’il avait chassés, « Tais-toi et sors de lui » (Mc 1,25) ; « Il ne laissait pas parler les démons, parce qu’ils savaient qui il était » (Mc 1,34) ; « Il leur enjoignait avec force de ne pas leur faire connaître » (Mc 3,12) ; à un lépreux qu’il avait guéri, « Garde-toi de rien dire à personne » (Mc 1,44) ; aux parents d’une petite ressuscitée, « Il leur recommanda vivement que personne ne le sût » (Mc 5,43)… Jusque là, Jésus avait gardé le silence sur sa véritable identité, fait taire ceux qui auraient pu la divulguer. Tel est ce que l’on a appelé le secret messianique chez saint Marc. « Les biblistes expliquent cette attitude par le fait que Jésus ne veut pas que l'on se méprenne au sujet de son identité. Il n'est ni un guérisseur, ni un thaumaturge ni une vedette. Il est le Fils de Dieu qui mourra sur une croix pour ensuite ressusciter. Toutes ces actions ne se comprennent qu'à la lumière de la mort-résurrection. À partir de ce moment, la consigne du silence ne tient plus : “Allez dans le monde entier, proclamez l'Évangile à toute la création” (Mc 16,15). » (Daniel Montpetit, bibliste, Montréal)
« Tu es le Christ. » (Mc 8,29)
Jésus demanda donc : « Qui suis-je, au dire des gens ? » Comparé à Jean-Baptiste mis à mort par Hérode, à Élie attendu comme annonciateur des derniers temps et à quelques anciens prophètes, Jésus ne figure pas comme un simple mortel dans l’esprit du monde. Mais s’il pose la question à ses Apôtres, c’est qu’il lui semble évident que ces derniers ne partagent pas l’avis de la foule. La réponse de Pierre en constitue la preuve : « Tu es le Christ ! » Ce nom de « Christ » – tellement utilisé ! – en savons-nous encore la véritable, la profonde, l’extraordinaire signification ? Ce nom vient du grec « Christos » – qui a donné en latin « Christus » – et signifie « oint », du verbe « oindre » (enduire d’une substance grâce) ; on trouve comme dérivé en français le « chrême », c’est-à-dire l’ « huile », la « chrismation », c’est-à-dire l’ « onction ». « Christos » traduit le mot hébreu « Machia’h », « Messie » en français. Dans l’Ancien Testament, cette onction fut d’abord réservée aux Prêtres (descendants d’Aaron, frère de Moïse) : « Il versa de l'huile d'onction sur la tête d'Aaron, et l'oignit pour le consacrer » (Lv 8,12) ; « Tels sont les noms des fils d'Aaron, prêtres qui reçurent l'onction et que l'on investit pour exercer le sacerdoce » (Nb 3,3). Elle fut plus tard étendue aux Rois d’Israël, par exemple David : « Jessé l'envoya chercher : il était roux, avec un beau regard et une belle tournure. Et le Seigneur dit : “Va, donne-lui l'onction : c'est lui !” » (1 16,12) ; ou encore Salomon : « Là, le prêtre Sadoq et le prophète Natân lui donneront l'onction comme roi d'Israël, vous sonnerez du cor et vous crierez : “Vive le roi Salomon !” » (1 R 1,34) Pierre savait certainement tout cela. Le Peuple d’Israël n’attendait-il pas le Messie, roi libérateur ?
A la question de Jésus « Qui suis-je ? », la réponse de Pierre diffère un tout petit peu selon les évangélistes. Matthieu écrit : « Tu es le Christ, le fils du Dieu vivant » (Mt 16,16) ; Marc : « Tu es le Christ » (Mc 8,29) ; et Luc : « Le Christ de Dieu » (Lc 9,20). « A la confession de la messianité de Jésus, rapportée par Marc et Luc, Matthieu ajoute celle de la filiation divine » (commentaire de la Bible de Jérusalem). Dans l’évangile de Jean, on trouve un récit assez similaire, mais les circonstances sont toutefois différentes : « Jésus dit alors aux Douze : “Voulez-vous partir, vous aussi ?” Simon-Pierre lui répondit : “Seigneur, à qui irons-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Nous, nous croyons, et nous avons reconnu que tu es le Saint de Dieu.” » (Jn 6,67-69) ; le « Saint de Dieu », « c’est-à-dire l’envoyé et l’élu, consacré et uni à lui de façon éminente, le Messie » (commentaire de la Bible de Jérusalem).
« Tu es Pierre… » (Mt 16,18)
Pierre vient donc de poser un acte de foi en reconnaissant que Jésus est le Christ, le Messie, le Fils de Dieu. Les récits de Marc et de Luc s’arrêtent là : Jésus ordonne aux Apôtres de ne rien dire : « Alors il leur enjoignit de ne parler de lui à personne » ( Mc 8,30) ; « Mais lui leur enjoignit et prescrivit de ne le dire à personne » (Lc 9,21). Matthieu, lui, continue. A la profession de foi de Pierre, Jésus répondit : « Tu es heureux, Simon fils de Jonas, car cette révélation t'est venue, non de la chair et du sang, mais de mon Père qui est dans les cieux. Eh bien ! moi je te dis : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les Portes de l'Hadès ne tiendront pas contre elle. Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux : quoi que tu lies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour lié, et quoi que tu délies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour délié. » (Mt 16,17-19) Et bien sûr, Matthieu conclut en écrivant : « Alors il ordonna aux disciples de ne dire à personne qu'il était le Christ. » (Mt 16,20)
« Tes pensées ne sont pas celles de Dieu… » (Mt 16,23)
Cependant, Pierre n'avait pas encore compris le contenu profond de la mission messianique de Jésus, le nouveau sens de cette parole : Christ, Messie. Il le démontrera peu après, en laissant comprendre que le Messie qu'il poursuit dans ses rêves est très différent du véritable projet de Dieu. En effet, tout de suite après, Jésus va annoncer sa Passion : « A dater de ce jour, Jésus commença de montrer à ses disciples qu'il lui fallait s'en aller à Jérusalem, y souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué et, le troisième jour, ressusciter. » (Mt 16,21) Devant cette terrible annonce, Pierre se scandalise et proteste en le tirant à lui : « Dieu t'en préserve, Seigneur ! Non, cela ne t'arrivera point ! » (Mt 16,22) Mais Jésus réagit vivement : « Passe derrière moi, Satan ! tu me fais obstacle, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes ! » (Mt 16,23) « Pierre veut un Messie “homme divin”, qui accomplisse les attentes des gens en imposant sa puissance à tous : c'est également notre désir que le Seigneur impose sa puissance et transforme immédiatement le monde ; Jésus se présente comme le “Dieu humain”, le serviteur de Dieu, qui bouleverse les attentes de la foule en prenant un chemin d'humilité et de souffrance. » (Benoît XVI) Dur camouflet pour Pierre ? Non. Tout simplement, « ce n’est pas le Maître qui doit suivre le disciple, mais le disciple qui doit suivre le maître. La Passion de Jésus est de volonté divine, pourquoi s’y opposer » (Père Jacques Sylvestre, Dominicain). Pierre, mais aussi les autres Apôtres, aura encore beaucoup à apprendre de Jésus ! Pourtant ils l’avaient déjà entendu : « Le disciple n'est pas au-dessus du maître ; tout disciple accompli sera comme son maître » (Lc 6,40) ; « Qui ne prend pas sa croix et ne suit pas derrière moi n'est pas digne de moi. Qui aura trouvé sa vie la perdra et qui aura perdu sa vie à cause de moi la trouvera » (Mt 10,38-39). Paul, l’Apôtre des Nations – que nous avons suivi pendant quelques mois – l’avait proclamé et écrit : « Nous proclamons, nous, un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens » (1 Co 1,23) ; « Non, je n'ai rien voulu savoir parmi vous, sinon Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié. » (1 Co 2,2)
Ces péricopes évangéliques et pauliniennes valent encore pour notre temps, même si la mort à cause de Jésus ne semble pas nous guetter, mais sans oublier cependant que sur d’autres continents, des Chrétiens versent leur sang en confesseurs de la foi. C’est ce qu’écrivait le Père Jacques Sylvestre, Dominicain : « L’existence chrétienne ne peut être qu’une participation à tout le mystère du Christ rédempteur et sauveur de l’humanité. Sauver sa vie, c’est la perdre, mais la perdre pour le Christ et avec le Christ c’est la sauver. Tel est dans la lumière du Christ le secret de la véritable identité chrétienne. »
« Non, tu ne me laveras pas les pieds, jamais ! » (Jn 13,8)
C’était donc le soir du dernier repas… Jésus se leva de table, prit un linge qu’il noua à sa taille, mit de l'eau dans un bassin, commença à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge dont il était ceint. « Il vient donc à Simon-Pierre, qui lui dit : “Seigneur, toi, me laver les pieds ?” Jésus lui répondit : “Ce que je fais, tu ne le sais pas à présent ; par la suite tu comprendras.” Pierre lui dit : “Non, tu ne me laveras pas les pieds, jamais !” Jésus lui répondit : “Si je ne te lave pas, tu n'as pas de part avec moi.” » (Jn 13,6-8) Comme lors de sa confession – le jour où il avait reconnu que Jésus était le Messie –, Pierre a, malgré lui, été encore une fois un « obstacle » sur le chemin de Jésus. Quand il arrive à Pierre, celui-ci proteste : « Seigneur, toi, me laver les pieds ? » Pierre ne saisit pas ce que fait Jésus ! Néanmoins Jésus n’est pas attristé… Il faut laisser le temps au temps… « Ce que je fais, tu ne le sais pas à présent ; par la suite tu comprendras. » Il est un fait que cette situation est peu banale. Pierre sait que Jésus est le Christ de Dieu. « Dieu à genoux ! Le Sauveur du monde, l’ Agneau de Dieu, le Messie, son dernier repas ici-bas, la dernière fois qu’il est avec ses amis avant sa mort ; la dernière occasion pour leur dire quelque chose. On se rappelle toujours des derniers gestes, dernières paroles des mourants ... Qu’est-ce que fera Jésus maintenant ? Une guérison, délivrance, résurrection plus spectaculaire que jamais ? Une apparition encore plus glorieuse que sur la montagne de la Transfiguration ? Non : une leçon sur l’amour ! » (Pasteur Michaël Williams) Ce geste du lavement des pieds, réservé habituellement aux serviteurs, voilà que le Maître se l’approprie ! Non, Pierre n’en revient pas ! Ces mains qui ont guéri des malades, purifié des lépreux, béni des enfants, multiplié les pains et les poissons, relevé la fille de Jaïre, commandé aux esprits mauvais et aux vents, « purifié » le Temple… ces mains entre lesquelles le Père qui aime le Fils a tout remis… ces mains qui l’ont tiré de l’eau lorsqu’il se noyait… vont laver ses pieds !
« Non, tu ne me laveras pas les pieds, jamais ! » s’exclame Pierre – « Si je ne te lave pas, tu n'as pas de part avec moi. » répond Jésus. Oui, le Christ aurait pu lui dire : « Pierre, laisse-moi faire ! Ne sois pas orgueilleux ! Tu ne comprends pas maintenant ? Et alors ? Plus tard tu comprendras ! » Quelle merveilleuse promesse ... Il y a tant de choses que nous ne comprenons pas ... Il n’y a qu’une réponse à nos incompréhensions : amour, confiance ! « Pierre, Je ne lave pas tes pieds à cause de ce que toi, tu es, mais à cause de ce que moi, je suis. Je te lave les pieds parce que je t’aime ! » Est-ce que nous sommes prêts à laisser Jésus faire dans notre vie, même quand nous ne le comprenons pas ? Oui, la foi ne dépend pas de la compréhension, mais de l’amour.
« Dussé-je mourir avec toi, non, je ne te renierai pas. » (Mt 26,35)
Après l’institution de l’Eucharistie, Jésus annonça la défection des Apôtres et le reniement de Pierre. Cela se situe pour Luc et Jean au Cénacle et pour Matthieu et Marc sur le chemin qui mène au Jardin des Oliviers. « Après le chant des psaumes, ils partirent pour le mont des Oliviers. Et Jésus leur dit : “Tous vous allez succomber, car il est écrit : Je frapperai le pasteur et les brebis seront dispersées. Mais après ma résurrection, je vous précéderai en Galilée.” Pierre lui dit : “Même si tous succombent, du moins pas moi !” Jésus lui dit : “En vérité, je te le dis : toi, aujourd'hui, cette nuit même, avant que le coq chante deux fois, tu m'auras renié trois fois.” Mais lui reprenait de plus belle : “Dussé-je mourir avec toi, non, je ne te renierai pas.” Et tous disaient de même. » (Mc 14,26-31) Encore une fois, Pierre se fait « entrave » pour Jésus. « Seigneur, je suis prêt à aller avec toi et en prison et à la mort. » (Lc 22,33) « Je donnerai ma vie pour toi. » (Jn 13,37) Et voulant défendre Jésus lors de son arrestation, il aura un geste désespéré, malheureux, inutile – croyant pourtant bien faire ! – : « Alors Simon-Pierre, qui portait un glaive, le tira, frappa le serviteur du grand prêtre et lui trancha l'oreille droite. Ce serviteur avait nom Malchus. Jésus dit à Pierre : “Rentre le glaive dans le fourreau. La coupe que m'a donnée le Père, ne la boirai-je pas ?” » (Jn 18,10-11)… « Alors les disciples l’abandonnèrent tous et prirent la fuite. » (Mt 26,56)
« Je ne connais pas cet homme. » (Mt 26,72.74)
Cependant, d’après les évangélistes, Pierre suivit Jésus de loin. Il se chauffait auprès du feu lorsque trois personnes le reconnurent et lui demandèrent s’il était disciple du Nazaréen. Et trois fois il répondit qu’il ne le connaissait pas !A l'instant même un coq chanta ! Cri déchirant le jour naissant ! Cri déchirant le cœur de Pierre ! Pierre se rappela de la parole du Seigneur : « Avant que le coq ait chanté aujourd’hui, tu m'auras renié trois fois. » (Lc 22,61) Alors Jésus, se retournant, fixa son regard sur lui... Non, jamais Pierre n'oublierait ce regard... ces yeux remplis d'amour et de pardon, de tristesse aussi... Il venait de renier son Maître, son ami, son Seigneur, le Messie ! Il avait nié connaître Jésus par peur, par lâcheté… Il est sorti... il a pleuré... et il s’est enfui...
« Seigneur, tu sais tout, tu sais bien que je t’aime. » (Jn 21,17)
Après sa mort sur une croix, le corps de Jésus fut déposé dans un tombeau non loin du lieu du supplice. On roula une grande pierre devant l’entrée du sépulcre… Aucun apôtre ne fut présent lors de ces moments si douloureux et tragiques... excepté Jean et les Saintes Femmes.
Puis, le premier jour de la semaine pour les juifs, c’est-à-dire le dimanche, le Christ s’est montré à voir ressuscité ! Marie de Magdala, les Disciples d’Emmaüs et Pierre virent le Seigneur vivant, et enfin le groupe des Apôtres !
Quelques temps après, « Voici que le Seigneur, après sa résurrection, apparaît de nouveau à ses disciples. Il interroge l'apôtre Pierre, il oblige celui-ci à confesser son amour, alors qu'il l'avait renié trois fois par peur. Le Christ est ressuscité selon la chair, et Pierre selon l'esprit. Comme le Christ était mort en souffrant, Pierre est mort en reniant. Le Seigneur Christ était ressuscité d'entre les morts, et il a ressuscité Pierre grâce à l'amour que celui-ci lui portait. Il a interrogé l'amour de celui qui se déclarait ouvertement maintenant, et il lui a confié son troupeau. « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ? –Je t'aime. –Sois le pasteur de mes brebis. » Et cela une fois, deux fois, trois fois. Pierre ne dit rien que son amour. Le Seigneur ne lui demande rien d'autre que de l'aimer ; il ne lui confie rien d'autre que ses brebis. Aimons-nous donc les uns les autres, et nous aimerons le Christ. » saint Augustin (354-430), évêque et docteur de l'Église.
« Quo vadis, Dómine ? »
La Tradition raconte que l’Eglise de Rome fut en proie à d’effroyables persécutions sous le règne de l’empereur Néron (37-68). Pierre se trouvait alors dans la capitale de l’Empire. Il songea d'abord à fuir – non par lâcheté cette fois –, mais comme il sortait de Rome, il vit le Christ se présenter à lui. Pierre lui demanda : « Quo vadis, Dómine ? » (« Où vas-tu, Seigneur ? ») Cette question, il l’avait déjà posée à Jésus lors de la Cène : « Seigneur, où vas-tu ? » Et Jésus de lui dire : « Où je vais, tu ne peux pas me suivre maintenant ; mais tu me suivras plus tard. » (Jn 13,36) Cette fois, Jésus lui répondit : « Je vais à Rome pour y être crucifié de nouveau. » A ces mots, le Sauveur disparut. Pierre comprit qu'il devait revenir à Rome pour témoigner de sa foi en subissant le martyre. Une chapelle a été édifiée au bord de la Via Appia sur le lieu de cette extraordinaire rencontre. Pierre fut arrêté et incarcéré à la prison « Mamertinum », comme Paul. Il fut condamné, toujours selon la Tradition, au supplice de la Croix. Mais, par humilité, se jugeant indigne d'être crucifié comme le Maître, il demanda à être crucifié la tête en bas, ce qui lui fut accordé.
PRIÉRE :
Nous t’en prions, Dieu tout-puissant : fais que rien ne parvienne à nous ébranler, puisque la pierre sur laquelle tu nous as fondés, c’est la foi de l’Apôtre saint Pierre.
(Prière d’ouverture de la Messe de la Chaire de saint Pierre, le 22 février)
PRIÉRE :
Seigneur notre Père, tu as révélé à l’Apôtre Pierre que tu étais le Dieu vivant et que Jésus, ton propre Fils, était le Messie. En lui confiant les clés du Royaume des cieux, tu lui as remis le pouvoir de lier et de délier. Enfin, tu as permis qu’il subisse le martyre pour rendre témoignage à son Maître. Par l’intercession de Pierre, accorde-nous d’être libérés des fautes qui nous enchaînent et garde-nous étroitement unis à ton Fils qui seul a les paroles de vie.
(Prière inspirée des oraisons de la « messe en l’honneur de saint Pierre, Apôtre », N°13)