Les Trois Frères perdus
Conte de Noël Québécois
Il neigeait à gros flocons... Les enfants, Marc, Denise et Sylvain, étaient assis en tailleur (« en indien », comme on dit au Québec) aux pieds de leur grand-mère Mariette, près de la grande cheminée où brûlait une énorme bûche...
« Grand-Maman, raconte-nous une histoire d'avant ! » demandèrent les enfants.
Mariette, avec un plaisir non dissimulé, s'exécuta :
- « Il y a bien longtemps, lorsque le Québec était encore français, vivaient trois frères : Pierre, Louis et Jean Beausoleil. Ils étaient nés chez nous, à Montréal (autrefois Ville-Marie), mais leurs parents étaient originaires de Normandie, au Royaume de France. L'aîné, Pierre, était marchand ambulant, le cadet, Louis, était trappeur, le benjamin, Jean, était chercheur d'or. Ils habitaient dans la ferme familiale avec leur père Charles et leur mère Madeleine. La maison se situait sur la rive sud de la Rivière des Prairies, appelée par les Amérindiens « Skawanoti » (la rivière en arrière de l'île) et qui se jette dans le fleuve du Saint-Laurent.
Cette année-là, l'hiver s'annonçait particulièrement rigoureux. Mais il fallait bien travailler pour gagner sa vie. Aussi, malgré les pleurs de Madeleine, les trois frères décidèrent de partir ensemble vers le nord de la province, Pierre pour vendre ses élixirs-miracle, ses parfums et ses chapeaux à la mode de Paris, Louis pour attraper des renards blancs et autres animaux à fourrure et Jean pour trouver le filon du siècle, comme il disait !
Charles avait pensé à mettre dans leurs sacs quelques bouteilles de sirop d'érable maison ! Et nos trois voyageurs partirent à l'aventure, emmenant avec eux Luna, leur fidèle Labrador. Une légende amérindienne raconte que le chien Labrador est né de l’union d’un loup avec une loutre ! En effet, les Labradors ont les pattes palmées et la queue épaisse à la base et s'effilant vers l'extrémité, comme les loutres !
L'automne n'était pas encore trop dur mais, déjà, l'air se rafraîchissait de plus en plus.
Fini l' « été indien » aux mille feux rouges, jaunes, oranges...
Le haut des montagnes s'emmitouflait d'un beau manteau neigeux.
Des troupeaux entiers de caribous commençaient leur migration et, dans le ciel, presque plus d'oiseaux ; ils étaient partis se réchauffer plus au sud !
De campements en campements, de clairières en clairières, Pierre, Louis et Jean s'enfonçaient un peu plus dans le monde sauvage et impitoyable des grandes forêts canadiennes où rodaient des meutes de loups affamés...
De temps en temps ils croisaient un orignal solitaire à la recherche d'un peu de nourriture...
Nos trois amis firent aussi quelques mauvaises rencontres, comme des bandits et des Amérindiens qui leur laissèrent la vie sauve de justesse...
Le froid, le vent et la neige étaient devenus définitivement les maîtres de ces grands espaces inviolés.
Nos trois héros étaient épuisés. De plus, ils s'étaient perdus dans cette blanche immensité... Trois mois d'errance, d'angoisse et d'incertitude... La forêt avait laissé place à la toundra...
Le ciel s'était éclairci... La nuit, des myriades d'étoiles scintillaient, reflétant leur lumière sur la neige gelée... Ils avaient remarqué que, de jour comme de nuit, une étoile donnait l'impression de les accompagner ou plutôt, de les précéder, les guidant sans qu'ils s'en rendent compte. Maintenant la toundra se mariait avec la glace...
Il faisait nuit... Nos amis avançaient péniblement, éreintés, voués à une mort certaine, tant ils étaient loin de tout…
Ils s'agenouillèrent et firent cette prière : « Seigneur, prenez pitié de vos enfants... Que votre volonté soit faite ! »
Luna, le labrador, se mit soudain à aboyer... Au loin, un igloo s'éclaira de l'intérieur... Ouf, la vie était là !!!
Ils s’approchèrent. Les chiens de traîneau qui étaient à côté ne bougèrent même pas ! Tout semblait tellement paisible. L'étoile s'était comme arrêtée au-dessus de cette maison de glace et de neige ! Pierre, Louis et Jean entrèrent dans l'igloo. Ils virent des Inuits, un homme et une femme qui venait juste de mettre au monde un bébé. Ils ne parlaient pas la même langue, mais cela n'avait pas d'importance ; ils parlaient tous - les Inuits et les trois voyageurs – le langage du cœur !
Nos trois amis ouvrirent leurs sacs et offrirent du parfum, une fourrure contre le froid, un peu d'or, et du sirop d'érable à l'enfant qui venait de naître… Avec un large sourire, le couple n’a dit qu’un mot : « Qujannamiik ». Ce mot valait plus que tous les mots, parce qu’il fut dit avec cœur : « Merci ».
Les trois frères repartirent quelques jours après, par un itinéraire indiqué par l’Inuit…
Ils arrivèrent sains et saufs chez leurs parents ! »
Joyeux Noël !
Noël 1997
Fr. B