« Ergo nihil amori Christi præponatur »
« Ne rien préférer à l’amour du Christ »
Règle de saint Benoît Chapitre 4,21
Une Biographiede saint Benoît de Nursie
(480-547) |
|
« Ne rien préférer à l’amour du Christ » (RSB [Règle de Saint Benoît] 4,21) : c’est par ces quelques mots écrits pour ses moines que saint Benoît résume, me semble-t-il, à merveille non seulement l’idéal du moine mais aussi celui du Chrétien !
Mais Benoît n’invente rien, il puise à profusion dans la Bible, Parole vivante de Dieu !
Benoît nous est essentiellement connu par trois documents :
- la « Règle des Moines », qu’il rédigea pour ses « fils »,
- le « Deuxième Livre des Dialogues », écrit en 593 par le pape saint Grégoire le Grand (540-604),
- le « Poème de Marc », dans une moindre mesure.
Grâce à ces trois documents, on peut approcher ce grand Saint.
Sa « Règle des Moines », par laquelle « il se survit et nous parle encore », nous livre sa bonté, sa patience, sa douceur, sa discrétion, mais aussi ses convictions, ses exigences, sa façon de « gouverner » un monastère, bref toute sa Spiritualité. La « Règle » de saint Benoît a atteint un tel sommet d’équilibre et de délicatesse qu’aujourd’hui encore des milliers de moines et de moniales à travers le monde vivent sous son égide.
Saint Grégoire le Grand et Saint Benoît
Les « Dialogues » du pape Grégoire nous racontent la vie de Benoît d’après des témoignages de moines qui se sont transmis, comme de précieuses reliques, les faits et gestes de leur Père et fondateur. Une quarantaine d’années seulement séparent en effet la mort de Benoît de la composition des « Dialogues ». Le souvenir du Saint était alors dans toute sa force, on peut même dire dans toute son actualité ; et beaucoup de moines qui avaient côtoyé Benoît vivaient encore à l’époque du pape Grégoire.
1) Benoît, l’homme béni de Dieu
« Il y eut un homme d’une vie digne de vénération, nommé Benoît (Benedictus) et rempli, en effet, des bénédictions de la Grâce. » Ainsi commence le deuxième Livre des Dialogues de saint Grégoire le Grand.
Benoît portait bien son nom : « béni » (« benedictus » en Latin) ! Malgré des épreuves, toute sa vie aura été remplie des bénédictions, des consolations et de la Paix de Dieu ! Toute sa vie sera tournée vers Celui qui est la source de toute bénédiction. Ainsi Benoît aura-t-il pu s’écrier avec l’Apôtre Paul : « Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus le Christ, qui nous a bénis par toutes sortes de bénédictions spirituelles, aux cieux, dans le Christ » (Ep 1, 3).
Benoît est né vers 480 dans la province de Norcia (Nursie, en français) à une centaine de kilomètres au Nord-Ouest de Rome, aujourd’hui en Ombrie (Italie centrale).
Norcia, de nos jours (Italie)
Il était « issu d’une famille noble », sans doute de rang sénatorial ou équestre, issue de la « Gens Anicii » de Rome. La Tradition nous a laissé le nom de ses parents : Eupropius et Abondantia. Il avait une sœur, certainement jumelle, nommée Scholastique - nous reparlerons d’elle un peu plus tard (§ 19).
Crypte construite sur la maison natale de saint Benoît (Norcia, Italie)
2) Benoît à Rome
En 497, « Benoît fut envoyé à Rome pour étudier les belles-lettres ». Il y restera jusqu’en l’an 500. À Rome, à cette époque de grands chambardements historiques, culturels et politiques, l’on pouvait voir le meilleur mais aussi le moins bien de l’être humain - mais cela n’a pas changé, on peut le constater de nos jours et partout ! Benoît a connu certains de ses camarades étudiants entraînés « sur la pente des vices ». Voyant tout cela, « il retira, pour ainsi dire, le pied qu’il venait de poser au seuil du monde, de peur qu’au contact de sa culture, il n’allât lui-même, par la suite, se perdre tout entier dans le redoutable précipice » .
église san Benedetto in Piscinula, construite sur la maison où logea saint Benoît à Rome
Benoît décida donc de quitter la Ville Éternelle. Benoît n’est pas parti par peur des responsabilités ou par lâcheté. Sa décision était mûrement réfléchie car il quitta aussi la maison et les biens paternels ! Cela prouve, s’il était besoin, que Benoît ne choisissait pas la facilité et qu’il comptait se débrouiller seul. « Désireux de plaire à Dieu seul, il se mit en quête d’une forme de vie sainte ». Une chapelle a été construite sur l’emplacement de la maison de saint Benoît à Rome, dans le quartier du Trastevere : san Benedetto in Piscinula.
Plaire à Dieu seul, n’est-ce pas là l’absolu vers lequel nous tendons ? Oui, plaire à Dieu seul, trouver tout son bonheur en Dieu seul ! C’est ce que chante le psalmiste dans l’Ancien Testament : « J’ai dit au Seigneur: “Tu es mon Dieu ! Je n’ai pas d’autre bonheur que toi” » (Ps 16(15), 2).
3) Benoît à Enfide, la passoire cassée
Benoît partit donc, suivi de sa nourrice qui avait du accompagner le jeune homme pendant son séjour romain. Ils arrivèrent à Enfide, village situé à quatre-vingts kilomètres environ de Rome. Là, Benoît se mit à l’école d’un prêtre qui ouvrit son cœur et son intelligence aux « choses saintes ». Mais à cause d’un premier miracle, Benoît allait bientôt repartir, quittant tout de nouveau. En effet, sa nourrice avait emprunté à des voisines un crible, c’est-à-dire une passoire, pour passer du blé. Or le crible tomba de la table et se cassa en deux.
Enfide, aujourd’hui Affile
« Mais Benoît, adolescent pieux et bon, apercevant sa nourrice en pleurs, compatit à son chagrin, et emportant avec lui les deux morceaux du crible, il se mit à prier avec effusion. Quand il se releva de sa prière, il le trouva auprès de lui si bien réparé qu’on n’y aurait pu découvrir la moindre trace de fracture ». Ce miracle fit grand bruit dans la population d’Enfide !
4) Benoît à Subiaco
Mais Benoît, préférant les difficultés de la vie aux compliments, s’enfuit, seul cette fois, et alla se retirer dans un lieu désert, à Subiaco. Subiaco est un lieu désert mais non pas désertique ; c’est un endroit « d’où jaillissent des eaux fraîches, limpides et abondantes qui, d’abord recueillies dans un vaste lac, s’en échappent ensuite, donnant ainsi naissance à une rivière ». Oui, Benoît fuit la célébrité et le superficiel. Il veut plaire à Dieu, il cherche Dieu, seul vrai Bien sur cette terre ! Benoît peut faire siens ces versets du psalmiste : « Comme un cerf assoiffé cherche l’eau vive, ainsi mon âme te cherche, toi, mon Dieu » (Ps 42(41), 2).
Dans la solitude d’une grotte de Subiaco, Benoît allait enfin trouver Celui que son cœur aime, Celui qui allait étancher sa soif de la véritable Paix...
Benoît avait donc tout quitté, non pas sur un coup de tête ou par un caprice de jeune homme. Son action fut le fruit de la prière et de la réflexion. Dans cet exode, son but était simple, sa décision irrévocable : plaire à Dieu seul ! Cependant, il ne se doutait pas que son existence le mènerait d’exode en exode, mais aussi fort heureusement d’expérience en expérience...
Subiaco, Sacro Speco (Grotte Sainte)
« Tandis que Benoît se hâtait vers cette solitude, un moine nommé Romain le rencontra sur sa route et lui demanda où il allait. Dès qu’il eut connu son désir, il lui promit le secret et lui prêta son aide. Il lui donna l’habit monastique et le seconda dans toute la mesure du possible ». Ainsi allait commencer une nouvelle vie pour Benoît, une vie pas facile, mais une vie qu’il avait choisie, ou plutôt une vie à laquelle il se sentait irrésistiblement attiré, appelé... Il se retira dans une grotte en contrebas d’une falaise et très dure d’accès. Sa « cachette » était connue seulement du frère Romain qui donnait un peu de son temps et de son pain pour le partager avec Benoît devenu ermite (ermite : moine qui vit seul et retiré du monde). En effet frère Romain vivait non loin de là, dans un monastère ; il venait ravitailler de temps en temps Benoît en faisant « descendre un pain attaché au bout d’une très longue corde à laquelle il avait fixé une petite clochette » afin que « l’homme de Dieu » soit prévenu.
Mais il existait quelqu’un qui était jaloux de cette situation nous raconte le pape Grégoire, c’était « le vieil adversaire », « l’antique ennemi »... le diable ! Il était furieux de la bonté de Romain et du maigre repas de Benoît. « Voyant un jour descendre le pain, il lança une pierre et brisa la clochette ». Pourtant Romain continua son service... avec d’autres moyens... car la charité est plus forte que tout !
Benoît demeura donc dans sa grotte pendant trois ans, coupé de tout, ne s’occupant que de Dieu… grâce à la bienveillance de Romain...
5) « Aujourd’hui, c’est Pâques ! »
Assez loin de Subiaco, vivait un prêtre ; il se préparait un bon repas pour fêter Pâques quand le Seigneur lui dit : « Tu prépares de bonnes choses pour toi, mais là-bas, mon serviteur souffre beaucoup de la faim ». Le prêtre se leva aussitôt et partit vers le lieu indiqué avec un bon pique-nique! Il chercha l’homme de Dieu, passa à travers collines et vallées et trouva enfin Benoît dans sa grotte. Ils prièrent et parlèrent ensemble « de la joie de vivre avec Dieu ». Le prêtre dit ensuite à Benoît : « Lève-toi et mangeons! Aujourd’hui, c’est Pâques ! ». L’homme de Dieu lui dit : « Oui ! Aujourd’hui, c’est Pâques, je le sais, puisque j’ai l’honneur de te voir ! ».
Vivant loin de tout le monde, Benoît avait perdu le sens des fêtes religieuses et du temps qui passe ! Le prêtre lui expliqua donc que c’était vraiment la Solennité de Pâques, qu’il ne fallait pas jeûner en ce Saint Jour et même que c’était le Seigneur qui l’avait envoyé ici ! Benoît se souviendra de cet épisode, lui qui plus tard allait organiser la prière, les fêtes, les offices, bref toute la Liturgie des monastères pour des millions de moines et moniales jusqu’à nos jours !
6) Benoît catéchiste
« À la même époque, des bergers trouvèrent, eux aussi, Benoît caché dans sa grotte ». D’abord surpris, ils apprirent à connaître et à apprécier le serviteur de Dieu ; ils se mirent à aimer le Seigneur. Le nom de Benoît fut bientôt connu aussi du voisinage. À son contact, beaucoup commencèrent à venir le voir. « Ils lui apportaient de la nourriture pour le corps, et remportaient en échange, dans leur cœur, les paroles de vie recueillies de ses lèvres ».
7) La tentation vaincue
Un jour, le Tentateur vint déranger Benoît dans sa solitude. Un merle voletait autour de la tête de Benoît, frôlant son visage ; « mais il fit un signe de croix et l’oiseau s’envola ». Alors une tentation bien plus violente assaillit Benoît. Il se souvint d’une femme très belle qu’il avait remarquée autrefois... Son désir était tellement fort dans son cœur qu’il pensa presque à quitter le désert de Subiaco !
Que faire ? Tout abandonner à cause d’un souvenir, d’un mirage ? Heureusement, « la force de Dieu vint à son secours, il revint à lui-même ». Tout près de sa grotte poussaient « d’épais buissons d’orties et de ronces ». Il se déshabilla et, prenant son courage à deux mains, il se jeta dans les épines et les orties ; il s’y roula longtemps et en sortit le corps tout écorché... mais il était sortit vainqueur ! Vainqueur du Tentateur, vainqueur de lui-même ! « Et à partir de ce moment-là, comme il le confiait lui-même plus tard à ses disciples, les désirs de la chair furent en lui si bien domptés, que jamais plus il ne ressentit en lui rien de semblable ». Saint François d’Assise a planté des rosiers à cet endroit.
8) Le poison de Vicovaro
« Non loin de là, à Vicovaro, se trouvait un monastère dont le Père, c’est-à-dire le Supérieur, vint à mourir ». Les moines vinrent trouver « le vénérable Benoît » et lui demandèrent avec insistance qu’il devienne leur supérieur. Il refusa longtemps car, comme il leur avait dit, « leur manière de vivre ne pourrait pas se concilier avec la sienne ». Cependant, un jour, il accepta. Autre départ, autre exode, autre expérience... Mais voilà, Benoît voulait que les moines suivent une règle stricte. « Personne ne pouvait plus faire des choses défendues... et de quitter le chemin de la vie parfaite ». Les moines, avant si empressé d’avoir Benoît comme Père Abbé, commencèrent à regretter leur choix ! Et pour cause ! Ils se mirent à râler, à rouspéter contre Benoît... mais pas devant lui, bien sûr ! Certains cherchaient même comme le faire mourir ! La décision prise, ils décidèrent de le tuer en mettant du poison dans son vin !
« Le Père était assis à table. Les frères lui présentèrent le pichet de vin empoisonné pour qu’il le bénisse selon la coutume du monastère. Benoît étendit la main et fit un signe de croix; et le récipient qu’on tenait à une certaine distance se brisa à ce signe, comme si, sur cet objet empoisonné, au lieu de tracer une croix, Benoît eût lancé une pierre. L’homme de Dieu comprit aussitôt que ce vase contenait un breuvage de mort puisqu’il n’avait pas supporté le signe de vie ».
Quelle déception Benoît a-t-il du ressentir ! Pourtant, « se levant sans différer, le visage calme, l’âme tranquille, il réunit les Frères, et, leur adressant la parole, leur dit : “Que le Dieu tout-puissant ait pitié de vous, mes frères ; comment avez-vous pu me faire cela ? Ne vous avais-je pas dit d’avance que votre manière de vivre et la mienne ne s’accommoderaient aucunement ? Allez, et cherchez-vous un Père selon vos mœurs, parce qu’après cela, vous n’avez plus à compter sur moi” ». Belle leçon pour nous ! Benoît, alors qu’il aurait pu mourir, ne s’énerve même pas, il garde, comme on dit, son sang froid, il ne gronde pas ces moines mais il prie pour eux... il pardonne !
9) Il habita avec lui-même
Après son séjour à Vicovaro, « il revint alors au lieu de sa solitude bien-aimée, et, seul sous le regard du souverain Juge, il habita avec lui-même ».
10) Les douze monastères
« Comme le Saint, dans cette solitude, brillait de plus en plus par ses vertus et ses miracles, de nombreuses personnes, attirées par sa renommée, s’unirent à lui dans sa retraite pour servir le Dieu tout-puissant ». Et voilà encore Benoît “obligé” de quitter sa chère solitude, mais cette fois pour une très bonne cause : guider des frères “sur le chemin de la perfection” dans la vie de moine.
Douze monastères furent construits et Benoît établit dans chacun d’eux un Père avec douze moines. Benoît garda auprès de lui quelques disciples pour qu’ils aient une bonne formation.
Après des années d’expérience, dans la solitude, les tentations vaincues, Benoît allait devenir le Maître, le Père des moines...
La sainteté de l’homme de Dieu avait attirée des disciples. « Des nobles et des hommes pieux de la ville de Rome commencèrent aussi à venir à lui, et lui donnèrent leurs fils à élever pour le Dieu tout-puissant ». C’était une habitude qui s’est continuée jusqu’à aujourd’hui ! En effet des abbayes bénédictines et cisterciennes avaient des écoles. De nos jours, ces écoles abbatiales existent encore ; je pense, par exemple, aux Abbayes bénédictines de Maredsous en Belgique et d’Einsielden en Suisse, ou encore à l’Abbaye cistercienne de Wurmsbach, également en Suisse...
11) De la solitude à la communauté
Benoît devait donc quitter sa chère solitude, mais non pas sa vocation. Le Seigneur avait d’autres projets pour lui. Après avoir acquis une solide expérience d’ermite, dans la prière et les combats spirituels, Benoît était prêt pour devenir un maître, un modèle pour les moines qui viendraient sous sa houlette. Des hommes de toutes les conditions se présentèrent pour embrasser la vie monastique à l’école d’un tel père. Benoît reçut aussi des enfants à Subiaco.
« C’est alors que lui arrivèrent deux enfants de grande espérance : Maur, amené par son père Euthicius, et Placide, par le patricien Tertullus. Maur, assez jeune et déjà remarquable par sa vertu, devint bientôt l’auxiliaire de son maître ; quant à Placide, il avait encore le naturel enfantin de son âge ». Ces deux enfants, ces deux “moinillons”, seront les témoins privilégiés des actions surprenantes de Benoît.
Saint Benoît entouré des Saints Maur et Placide
12) Le miracle de la source
Trois des monastères construits se trouvaient très haut sur la montagne parmi les rochers. Les frères devaient descendre tous les jours chercher de l’eau au lac sur un chemin dangereux. Ils vinrent voir Benoît pour trouver une solution; peut-être faudrait-il changer les monastères de place ? Benoît les consola... La nuit même, il partit dans la montagne avec le petit Placide. Il pria longuement puis il plaça trois pierres à cet endroit. Le lendemain, les moines revinrent et Benoît leur dit: « Allez et creusez un peu le sol à l’endroit où vous trouverez trois pierres placées l’une sur l’autre ; le Dieu tout-puissant peut bien faire jaillir de l’eau, même sur cette crête pour vous épargner la peine d’un pareil trajet ».
Vous avez compris la suite ! Benoît, par sa seule prière, avait fait jaillir de l’eau par charité pour ses frères. Moïse au désert avait fait de même pour soulager le Peuple d’Israël de la soif.
13) Le Pain et le corbeau
Ce sous-titre pourrait faire penser à une fable de Jean de la Fontaine, il n’en est rien.
« Déjà de tous côtés, cette contrée s’embrasait de l’amour de notre Dieu et Seigneur Jésus Christ ; beaucoup abandonnaient la vie du siècle et soumettaient leur cœur rude à la loi très douce du Christ qui nous a rachetés ». Mais la jalousie, tapie comme un animal sauvage, rôdait... Un prêtre d’une église voisine nommé Florentius n’était pas du tout content de la sainte renommée de Benoît. Chaque jour, sa colère et sa jalousie augmentaient un peu plus... Il décida donc de le “liquider” en lui faisant parvenir un pain béni empoisonné !
« L’homme de Dieu le reçut en remerciant, mais le poison caché dans le pain ne resta pas caché pour lui ». Benoît avait l’habitude, au moment du repas, de donner un bout de pain à un corbeau de la forêt voisine. Le corbeau vint, comme à son habitude. « L’homme de Dieu jeta devant lui le pain que le prêtre avait envoyé et lui donna cet ordre : “Au nom de Jésus Christ Notre Seigneur, prends ce pain et jette-le dans un endroit où personne ne puisse le trouver” ». Après plusieurs hésitations, le corbeau emporta finalement le pain très loin ; il revint au bout de trois heures et Benoît lui donna sa nourriture habituelle. Une fois de plus, Benoît avait échappé à la mort, mais « il était plus triste pour le prêtre que pour lui-même ».
Le corbeau emportant le pain empoisonné
14) Les filles envoyées par le prêtre jaloux
Florentius ne désarmait pas. Puisque Benoît avait résisté, peut-être ses moines allaient-ils tomber ! « Il envoya donc, dans le jardin du monastère, des filles » pour tenter les moines. Benoît, voyant ce spectacle, craignit pour « ses disciples encore bien fragiles ». Il décida, après avoir organisé les monastères déjà fondés et confirmé leurs Supérieurs, de quitter Subiaco... non pas par peur de ce méchant prêtre, uniquement pour éviter d’autres méfaits contre ses moines.
15) Benoît au Mont-Cassin
Un nouvel exode commençait pour Benoît. Mais il emmena avec lui, cette fois, quelques moines. Notre petit groupe partit vers le Sud-Est et arriva au pied d’une montagne du nom de Mont-Cassin, aujourd’hui dans la région du Latium. C’est là-haut, au milieu d’un village fortifié en ruines, que saint Benoît s’installa avec ses moines. C’était en 529. La vie monastique pouvait reprendre tranquillement son cours...
Abbaye du Mont-Cassin (Italie)
16) Benoît et le don de prophétie
« Saint Benoît reçut le don de prophétie : il commença à prédire l’avenir, et à révéler à son entourage ce qui se passait ailleurs. »
Il avait aussi l’esprit de clairvoyance :
- le moine et les deux flacons de vin [A une certaine époque, notre brave Exhilaratus (c’est-à-dire « Réjoui »), que tu as connu après sa conversion, avait été envoyé par son maître afin d'apporter du vin à l'homme de Dieu pour le monastère : il y en avait, pleins, deux de ces petits récipients en bois qu'on appelle plus communément fiasques. Il en apporta un, mais il cacha le second en cours de route. Quant à l'homme de Dieu à qui l'on ne pouvait dissimuler les faits commis en son absence, il reçut le premier avec action de grâce et il lança cet avertissement au garçon qui s'éloignait : "Regarde bien, fils, ne bois pas tout de suite de ce flacon que tu as caché, mais penche-le avec prudence, et tu trouves ce qu'il y a dedans." Couvert de confusion, il sortit de chez l'homme de Dieu et, revenu à cet endroit, voulant vérifier ce qu'il avait entendu, comme il penchait la fiasque, il en sortit aussitôt un serpent. Alors ce jeune Exhilaratus, impressionné par ce qu'il découvrit dans le vin, fut effrayé du mal qu'il avait commis. (ch. XVIII)]
- le moine et les mouchoirs [Il y avait encore, non loin du monastère, un bourg dans lequel une quantité non négligeable d'hommes avait été convertie par les admonitions de Benoît, passant du culte des idoles à la foi en Dieu. Là aussi résidaient quelques saintes femmes moniales et pour stimuler leurs âmes, le serviteur de Dieu Benoît avait soin d'y envoyer fréquemment ses frères. Or un jour, comme de coutume, il en envoya un, mais le moine qui avait été dépêché, après avoir fait l'exhortation, fut prié par ces moniales d'accepter des mouchoirs : il les prit et les cacha dans sa poitrine. A peine était-il revenu, que l'homme de Dieu, très amer, se mit à lui faire des reproches en disant : « Comment l'iniquité est-elle entrée dans ton sein ? » Mais l'autre demeurait interloqué, et ayant oublié ce qu'il avait, il se demandait pourquoi on le reprenait. Alors, il lui dit : « Est-ce que je n'étais pas présent, moi, lorsque tu as accepté des mouchoirs donnés par les servantes de Dieu et que tu les as mis dans ton sein ? » L'autre aussitôt, se jetant à ses pieds, se repentit d'avoir agi avec sottise. Quant à ces mouchoirs qu'il avait cachés sur lui, il les jeta. (ch. XIX)]
- le jeune moine (de bonne famille) tenant la lampe [Un certain jour, alors que l'heure était déjà vespérale, le vénérable Père prenait des aliments pour le corps : Il y avait là un de ses moines qui avait été auparavant fils d'un « Protecteur » et qui lui tenait la lampe devant la table. Mais comme l'homme de Dieu mangeait et que l'autre restait là debout accomplissant son service, il se mit à rouler silencieusement des pensées dans sa tête ; il se disait en cogitant : « Qui est-il donc celui-ci que, moi, j'assiste pendant qu'il mange, à qui je tiens la lampe, auquel je rends ce service ? Et qui suis-je, moi, pour servir cet être-là ? ». Là-dessus, l'homme de Dieu s'étant aussitôt retourné, se mit à lui faire de violents reproches en disant : « Signe ton cœur, frère ! Qu'est-ce que tu dis là ? Signe donc ton cœur ! ». Et sur-le-champ, appelant les frères, il prescrivit qu'on lui retire la lampe des mains ; quant à lui, il lui ordonna de quitter son service et d'aller s'asseoir - tranquille - à l'heure même. Questionné par les frères pour savoir ce qu'il avait dans le cœur, il leur raconta point par point de quel esprit de superbe il s'était enflé et les paroles qu'en pensée, il avait prononcées contre l'homme de Dieu en secret. Alors, avec une évidence limpide, il devint patent pour tous qu'on ne pouvait rien cacher au vénérable Benoît à l'oreille de qui résonnaient même les mots de la pensée. (ch. XX)]
17) Benoît et le Roi Totila
Totila, élu roi d'Italie en 541, voulant vérifier le don de prophétie de Benoît, envoya un de ses gardes, Riggo, qui se fit passer pour lui, au saint homme de Dieu. Ce dernier démasqua la supercherie (XIV et XV) : « Dépose donc mon fils ! Dépose ce que tu portes ! Ce n'est pas à toi. » Totila vint à son tour demander pardon à Benoît, lequel lui annonça sa défaite prochaine.
Saint Benoît et le Roi Totila
18) Le tonneau d’huile
Benoît, d’après les Dialogues de saint Grégoire, opéra de nombreux miracles, manifestant ainsi la puissance de Dieu à travers ses gestes et ses paroles. En voici un exemple. Une disette affligea la région. Les moines en souffrirent aussi. Il restait juste un peu d’huile dans une jarre... Un homme vint demander un peu d’huile. Benoît décida de lui donner le peu d’huile qui restait. Mais le moine chargé du “ravitaillement”, l’économe, que l’on appelle dans un monastère le cellérier, différa l’ordre de Benoît. Le moine se fit réprimander car il avait manqué à l’obéissance et à la charité. Après cela Benoît pria avec ses Frères dans un endroit où « se trouvait un tonneau à huile, vide et couvert. Or, comme le Saint prolongeait sa prière, le couvercle du baril commença à se soulever sous la poussée de l’huile qui montait... »
Un prophète de l’Ancien Testament avait fait la même chose, Elie, à Sarepta pour une veuve et son fils (1 R 17, 7-16).
19) La pluie et la colombe
Une seule fois dans sa vie Benoît n’eut pas le dernier mot ! C’est avec sa sœur. Scholastique, consacrée à Dieu dès son enfance, avait l’habitude de venir voir son bien-aimé frère une fois par an. Benoît descendait la recevoir dans une dépendance, non loin du monastère.
« Un jour donc, elle vint comme à l’ordinaire, et son frère vénéré, accompagné de quelques disciples, s’en fut la rejoindre ». Toute la journée, ils parlèrent des “choses de Dieu” tant et si bien qu’il faisait nuit pour le repas.
Scholastique s’adressa à son frère : « Je t’en prie, ne me quitte pas cette nuit, et, jusqu’au matin, parlons des joies du ciel ». Benoît fut très surpris et lui répondit : « Que dis-tu là, ma sœur ! Rester hors du monastère m’est absolument impossible ».
Saint Benoît et Sainte Scholastique
Or le ciel était sans nuage, la nuit était belle. « Devant le refus de son frère, Scholastique posa les mains sur la table, les doigts entrelacés, et y cacha son visage pour prier le Seigneur tout-puissant. Lorsqu’elle releva la tête, il se produisit un tel déchaînement d’éclairs et de tonnerre, un tel déluge de pluie, que le vénérable Benoît et les Frères venus avec lui n’auraient pu mettre le pied hors de la maison où ils étaient réunis ». Benoît fut très contrarié : « Que le Dieu tout-puissant te pardonne, ma sœur, qu’est-ce que tu as fait ? ». Elle lui répondit : « Vois, je t’ai prié, et tu n’as pas voulu m’entendre ; j’ai invoqué mon Seigneur, et il m’a exaucée. A présent, sors si tu le peux ; abandonne-moi et retourne au monastère ». Ils passèrent donc la nuit à parler de la vie avec Dieu...
Trois jours après, Benoît vit l’âme de sa sœur Scholastique sous l’aspect d’une colombe aller se perdre dans les profondeurs du ciel...
20) La grande vision de Benoît
« L'homme du Seigneur Benoît, alors que les frères reposaient encore et que l'heure des vigiles approchait, avait devancé le moment de la prière nocturne : debout à la fenêtre, il priait instamment le Dieu Tout-puissant et subitement, alors qu'il regardait dans la nuit encore profonde, il vit une lumière répandue d'en-haut chasser toutes les ténèbres de la nuit et briller d'une telle splendeur qu'elle surpassait la lumière du jour elle-même, alors qu'en fait, elle rayonnait au sein des ténèbres. Or dans cette contemplation, une chose tout à fait admirable s'ensuivit car, en effet, comme lui-même l'a raconté ensuite, le monde entier, comme rassemblé sous un seul rayon de soleil, fut offert à ses yeux. » (ch. XXXV)
La vision de Saint Benoît
21) La mort de saint Benoît
« L’année même où il devait quitter cette vie, Benoît annonça le jour de sa mort ». Un jour il fut pris d’une forte fièvre. Le sixième jour, il se fit porter à l’église par ses disciples. Il communia au Corps et au Sang du Christ puis s’appuyant sur les bras de ses moines, « il se tint debout, les mains levées vers le ciel, et, tout en priant, il rendit son dernier souffle ». Il fut inhumé auprès de sa sœur Scholastique.
La mort de Saint Benoît (Abbaye du Mont-Cassin, Italie)
22) La Règle des Moines
Il y aurait encore beaucoup à dire sur la vie extraordinaire de Benoît. Cependant, il nous a laissé en héritage un véritable trésor : « La Règle des Moines ». À partir de 535, il écrivit donc sa Règle, remarquable de discrétion et d’équilibre. Cette Règle est le fruit d’une longue et lente maturation. Saint Benoît y montre sa connaissance de la Tradition et son expérience personnelle de la vie monastique. Bien sûr, elle a été écrite d’abord pour des moines, mais comme elle est pétrie de paroles de la Bible, on peut y trouver de belles choses pour nous faire grandir dans l’amour du Seigneur.
Saint Benoît écrivant la Règle des Moines
En voici quelques bribes tirées du chapitre 4 (les instruments des bonnes œuvres) :
Se renoncer à soi-même pour suivre le Christ.
Ne jamais perdre la charité.
Dire la vérité de cœur comme de bouche.
Veiller à tout sur les actions de sa vie.
Tenir pour certain qu’en tout lieu Dieu est présent.
Ne pas vouloir passer pour saint avant de l’être, mais le devenir d’abord, en sorte qu’on soit estimé tel avec plus de vérité.
Ne rien préférer à l’amour du Christ…
Tout un programme…
« Triomphe » de Saint Benoît (Abbaye de Melk, Autriche)
Règle de saint Benoît :
http://www.abbaye-saint-benoit.ch/benoit/page2.html
http://www.intratext.com/X/FRA0014.HTM
http://www.scourmont.be/scriptorium/rb.htm
http://pagesperso-orange.fr/belloc/regle.htm
http://www.intratext.com/X/LAT0011.HTM
Dialogues de saint Grégoire :
http://www.abbaye-saint-benoit.ch/benoit/dialogues/
http://www.abbayes.fr/lectio/Vie_Benoit/table.htm