« Quelle joie de pouvoir suivre Jésus… »
(1953-1993)
J’étais à Paris jeudi 29 novembre 2007 avec quelques amis. Nous nous sommes rendus à la Chapelle de la Médaille Miraculeuse, Rue du Bac. Une discrète mais joyeuse effervescence teintait ce matin froid, gris et pluvieux. En effet, les Filles de la Charité fêtaient à la fois l’anniversaire de la Fondation de leur Compagnie par saint Vincent de Paul et sainte Louise de Marillac au XVII° siècle et la béatification d’une des leurs, Sœur Lindalva Justo de Oliveira qui eut lieu le dimanche 2 décembre 2007 à Salvador de Bahia au Brésil. Est-ce encore un petit clin du Ciel pour nous faire connaître une nouvelle bienheureuse ? Pourquoi pas !
Lindalva (linda : belle, et alva : aube) est née le 20 octobre 1953 dans le petit village de Malhada do Areia, Ville d'Açu, Etat de Rio Grande du Nord-Brésil. C'était la sixième fille de Joao Justo da Fé et de Maria Lucia de Oliveira, foyer familial très chrétien. Elle fut baptisée le 7 janvier 1954 dans l'église paroissiale Saint-Jean-Baptiste. A onze ans, elle fit sa Première Communion. Toute petite, elle éprouva une attention toute particulière envers les pauvres et une inclination naturelle au spirituel. Lindalva commença ses études puis partit à Natal, afin de continuer sa formation professionnelle. A partir de 1971, elle aida à élever ses trois neveux qu’elle aimait beaucoup. Après sa formation, elle trouva rapidement un emploi dans un bureau comptable. Elle aidait les familles de ses frères de Natal, et envoyait de l'argent à sa mère. Avec son amie Maria, le soir, elle parlait de sa journée de travail. Souvent, Lindalva renonçait à regarder la télévision pour lire la Bible dans sa chambre. Ses amis et ses parents essayaient de lui parler de mariage, mais elle changeait de sujet, disant qu'elle avait déjà trois fils... c'étaient ses trois neveux !
Après le décès de son père qu'elle avait entouré de soins durant toute sa maladie, Lindalva, dans ses heures libres, intensifia ses visites chez les Filles de la Charité de Juvino Barreto, à l’accueil pour les personnes âgées et à l’école Don Marcolino Dantas. Habituellement timide, elle devenait plus joyeuse, pleine de vie, rayonnante de bonheur…Sa disponibilité naturelle pour servir les personnes pauvres et marginalisées grandira jusqu'à la donation totale d'elle-même. Elle comprit que les personnes âgées étaient des personnes privées d'affection, parfois abandonnées. Voir le Christ en ces personnes transfigurait son regard et son service auprès d’elles.
Sœur Djanira Capistrano, responsable de la Pastorale des Vocations, commença à l'observer avec une plus grande attention et elle perçut que sa joie était contagieuse. Quand Lindalva passait à l'Abri, les personnes âgées l'attendaient ! Elle entrait en chantant, elle étreignait une personne, en embrassait une autre... elle avait pour chacune un geste d'affection. Si on lui demandait de jouer de la guitare, de chanter une chanson ou de rendre service, elle le faisait volontiers.
La Religieuse comprit que la jeune fille avait une vocation. Et le 12 septembre 1987, elle écrit à la Visitatrice, Soeur Heloisa Maia de Vasconcelos : «Je vous écris à propos de Lindalva, une jeune qui fréquente le mouvement vocationnel depuis plus d'un an. Elle a déjà participé à plusieurs rencontres régionales et bimensuelles. Elle se révèle être une jeune fille équilibrée, discrète, ayant les aptitudes nécessaires pour être une bonne Fille de la Charité... En considérant sa manière de vivre, ses amitiés et sa vie chrétienne, j'ai la certitude qu'elle peut être admise.»
Le caractère réfléchi et surtout réservé de Lindalva ne laissait rien percevoir, ni à ses amis, ni à sa famille, de ce qui se passait dans son cœur ! En 1987, Lindalva reçut le Sacrement de la Confirmation. La même année, elle écrivit à la Visitatrice pour solliciter son admission au Postulat dans la Compagnie des Filles de la Charité de la Province de Recife au Brésil. Servir le Christ dans la personne des pauvres, conformément au charisme des Fondateurs, était son désir le plus profond. Rappelons qu’en plus des vœux de pauvreté, chasteté et obéissance, les Filles de la Charité font aussi un vœu spécial de service des pauvres. Ces vœux sont annuels et toujours renouvelables.
De février 1988 à juillet 1989, elle fit son Postulat. Le 16 juillet 1989, elle fut admise au Noviciat. Heureuse d'être revêtue de l'habit bleu, elle dit : « Maintenant, oui, je suis Fille de la Charité.» Son adaptation au nouveau style de vie se déroula de manière calme et patiente. La force de sa volonté jointe à la grâce de Dieu la conduisirent sur le chemin de la perfection : le désir d'être fidèle à Dieu dans cette mission la rendait de plus en plus disponible, humble, obéissante et charitable envers tous. Ainsi, elle progressait dans sa vie intérieure, pas à pas... Un jour, elle écrivit avec conviction : « À chaque instant, dans mon oraison, je sens un désir si fort d'aimer Dieu, que je suis sûre d'y arriver, même si c'est le dernier jour de ma vie. » Soeur Ivanir, Directrice du Noviciat, percevait que la bonté de Sœur Lindalva la rendait disponible à tout, obéissante, joyeuse et compréhensive. Elle termina son noviciat le 26 janvier 1991, et fut envoyée en mission à l'Abri Don Pedro II à Salvador de Bahia pour travailler dans une infirmerie de quarante personnes âgées. Elle fut responsable du pavillon des hommes, service qu'elle remplit avec compétence et détermination. Sœur Lindalva fit de ce service auprès des personnes âgées un véritable apostolat de la parole, du témoignage, de l'écoute, préparant spirituellement les malades à vivre les derniers moments de leur existence. Sa conduite modeste, simple et discrète, révélait la pureté dans ses attitudes et elle traitait tout le monde avec charité. En plus de toutes ces tâches, elle trouvait encore le temps de visiter les pauvres à leur domicile, accompagnée de quelques dames charitables ; elle collectait des dons afin de répondre aux nécessités de toutes les personnes qu'elles assistaient. Sa force majeure était Dieu, présent dans toute vie humaine. Cette conviction nourrissait sa foi et sa charité. C'est ainsi que la jeune Sœur décrivait son union et son amour de Dieu, un amour total joint au service humble et constant du prochain : « Nous devons servir avec amour et don total le frère le plus pauvre, car c'est en lui que Dieu habite et qu'il nous attend. » Elle dynamisait tous ceux qui l'entouraient : ses amis, ses parents, les jeunes du groupe des vocations, et surtout les malades. Pour tous, elle avait un mot d'encouragement au « bon moment ».
En 1993, sur recommandation spéciale, l'Abri Don Pedro II accueillit parmi les personnes âgées un homme de 46 ans, du nom d’Auguste. Il poursuivit Sœur Lindalva et arriva même à lui manifester ses intentions. Elle eut peur et chercha à s’en éloigner comme elle pouvait. Elle se confia à d'autres Sœurs, et se réfugia dans la prière. Son amour des personnes âgées la retenait à l'Abri.
Un jour, comme il n'obtenait pas satisfaction, Auguste acheta un couteau…
Sœur Lindalva avait participé au Chemin de Croix, à l'aube, dans la paroisse du « Boa Viagem » avec les Sœurs de sa communauté et les paroissiens. À son retour, elle alla servir le petit-déjeuner aux personnes âgées. Elle monta l'escalier de l'infirmerie, mit son tablier et, tandis qu’elle préparait le plateau, elle sentit quelqu’un lui toucher l'épaule. Elle se retourna et n'eut que le temps de voir le visage enragé d’Auguste ! C’était le Vendredi Saint 9 avril 1993. L'homme poignarda Sœur Lindalva de multiples coups de couteau. Ce Vendredi Saint, unie au sacrifice du Christ, après le Chemin de Croix, Sœur Lindalva mourait à 1’infirmerie. « Ma vocation, c’est d’aimer et de vivre la joie sans fatigue en faisant le bien auprès des pauvres », disait Sœur Lindalva, elle a donné aussi sa vie…
« Que la volonté de Dieu soit en tout notre premier amour. Mais il est nécessaire que nous nous laissions conduire par lui, dans les moments de tristesse, dans les moments de joie, enfin, à chaque moment de nos vies. Tout ce qui est terrestre passe, mais l'Espérance en Dieu dure toujours ; tout passe, il est permanent et nous accueille à tous les moments de notre existence. Quand Dieu appelle, cela ne sert à rien de se cacher ; tôt ou tard sa volonté va prévaloir. Dans tous les moments de prière, je sens un désir si grand de l’amour de Dieu qu'un jour j'y arriverai même si ce doit être le dernier jour de ma vie. Jésus a dit, laissez tout, vraiment tout ; iI est nécessaire de se dépouiller pour me suivre, je ne veux pas que la moitié, non, je veux tout ; «Viens et suis-moi.» Quelle joie de pouvoir suivre Jésus, quel privilège, quel amour, il est impossible de résister à tant d'affection. » Bienheureuse Lindalva, Fille de la Charité
La mémoire liturgique de la Bienheureuse Lindalva, Vierge et Martyre, a été fixée au 7 janvier, jour de son baptême, puisque le jour de sa « naissance au Ciel » – date en général choisie pour la célébration des saints et des bienheureux – tomberait le 9 avril, donc souvent pendant la Semaine Sainte ou le Temps Pascal.
A l’instar du martyre sanglant, pour des motifs de persécution contre les chrétiens, l’Eglise catholique reconnaît le martyre de la pureté. Une tradition qui remonte aux premiers siècles chrétiens. Selon l’anthropologie et la théologie chrétiennes en effet, le corps n’est pas un simple « objet », il est le « Temple de l’Esprit », ainsi, celui qui fait violence au corps d’une femme porte atteinte à sa personne même, à son intériorité même, comme l’expliquait Mgr Helmut Moll, spécialiste des martyrs du XX° siècle. Benoît XVI a autorisé la promulgation du décret qui déclarait sœur Lindalva martyre, le 16 décembre 2006. Le « miracle » du martyre dispense, rappelons-le, l’attente d’un autre « miracle » pour la béatification.