Vivre et mourir d’amour, Nicola D’Onofrio :
une fleur dans le cœur de Dieu
(1943-1964)
Aller à Rome, au moins une fois par an, est pour moi aussi vital que lorsqu’un dauphin remonte à la surface de l’eau pour respirer… j’exagère à peine !
Rome, c’est d’abord pour moi le cœur de l’Eglise ! On y sent réellement la Catholicité de la Foi chrétienne, surtout lorsqu’on se retrouve au Vatican dimanche midi « Piazza San Pietro » pour l’Angelus du Pape ! Cette foule bigarrée, ces hommes, ces femmes et ces enfants de tous les continents, ces drapeaux, ces banderoles écrites dans toutes les langues sont vraiment les signes de l’universalité de notre Eglise ! Mais Rome, c’est aussi la Ville de l’Histoire, de l’Art et de l’Architecture : ruines romaines, églises baroques, palais, places, fontaines, musées… On y trouve aussi d’excellents petits restaurants où l’on peut déguster les spécialités romaines accompagnées de délicieux vins blancs des « Castelli Romani »…
Bref, vous l’aurez compris, j’aime Rome !
Chaque fois que je m’y rends – donc en général une fois par an –, je vais (évidemment !) à la Messe, mais surtout dans deux églises baroques bien précises. La première église, « il Gesù » (« le Jésus »), est tenue par les Jésuites. Elle se trouve près de « Piazza Venezia ». La deuxième, « la Maddalena » (« la Madeleine »), desservie par les Camilliens, se situe non loin du « Panthéon ».
il Gesù
la Maddalena
En 2007, j’y suis également allé.
Dans l’église de la Maddalena, près de la porte, il y a une table et un présentoir avec des livres, des cartes postales… Mon regard fut « accroché » par le sourire d’un jeune religieux sur une image. Curieux, j’ai pris un livret (en italien) sur sa vie :
« Nicola D'Onofrio. «Vivere e morire d'amore» » écrit par le Père Felice RUFFINI.
Je vous invite, par cet article inspiré du livret, à faire connaissance avec ce religieux italien au destin fulgurant…
Nicola D’Onofrio est passé sur notre terre comme une étoile filante.
Comme un coureur de 100 mètres, il a atteint le but ultime en toute hâte !
« C’était un jeune homme plein de sérénité et de douceur. Ses yeux étincelants révélaient son monde intérieur : la lumière de la présence de Dieu, le souci de ses frères, un grand désir de se donner. Son visage inspirait la confiance. Il manifestait un grand cœur et une paix inébranlable. Nicolino était fait pour le ciel plutôt que pour la terre ».
Pour cela il avait choisi d’être camillien au service de ses frères souffrants. Son chemin s’est arrêté inopinément… A l’âge de vingt et un ans, il rejoignait la Maison du Père…. Les desseins de Dieu sont bien souvent différents des nôtres. C’est lui qui écrit les étapes de notre vie, tandis que nos projets s’écroulent, pour nous ouvrir à un dessein plus large de sa volonté et de son amour.
Nicolas D'Onofrio naquit le 24 mars 1943 à Villamagna, au diocèse de Chieti dans les Abruzzes (« Regione Abruzzo », en italien), région d'Italie centrale, côté Adriatique. Il fut baptisé dans l'église paroissiale de Sainte-Marie-Majeure le 27 mars suivant, et y reçut le prénom de Nicola. Affectueusement, on l’appelait Nicolino. Son père se prénommait Giovanni. C'était un homme intègre, religieux et pieux, comme le sont habituellement les hommes de cette région d'Italie. Il travaillait dur dans la campagne. Il était plein de cette sagesse populaire et paysanne qui caractérise les vieilles familles des Abruzzes. Sa mère, Virginia Ferrara – qui mourra le 12 janvier 1980 –, était une femme solide et sensible. Giovanni l’avait choisie pour sa piété et son esprit chrétien. Elle sut transmettre à son fils le culte du caractère religieux de la vie, la délicatesse et une remarquable gentillesse et sérénité d'esprit.
Nicolino fit sa première communion à l'occasion de la Fête-Dieu, le 8 juin 1950. Il fut confirmé le 17 octobre 1953. Il suivit les cours de l'école élémentaire de Villamagna où il se fit remarquer par son application, sa bonté et sa disponibilité aux autres, ainsi que l'attestent sa maîtresse et ses compagnons d'âge. Il ne négligea jamais le service à l'autel, dans l'église paroissiale, où il se rendait même en plein hiver, bien que la maison familiale se trouvât à plusieurs kilomètres, à la limite de la commune voisine de Bucchianico, village natal de saint Camille de Lellis (1550-1614) – nous en parlerons un peu plus loin.
Nicola, le jour de sa Première Communion
Dans le coeur du petit Nicolino, l’appel du Seigneur faisait petit à petit son chemin... Comment ne pas penser au petit Samuel dans l’Ancien Testament ! En Israël, avant le temps de la Royauté, Samuel accomplissait le service divin sous la direction du prêtre Éli. L’enfant couchait dans le temple du Seigneur, où se trouvait l'arche de Dieu. « Le Seigneur appela Samuel, qui répondit : “Me voici !” Il courut vers le prêtre Éli, et il dit : “Tu m'as appelé, me voici.” Éli répondit : “Je ne t'ai pas appelé. Retourne te coucher.” L'enfant alla se coucher. De nouveau, le Seigneur appela Samuel. Et Samuel se leva. Il alla auprès d'Éli, et il dit : “Tu m'as appelé, me voici.” Éli répondit : “Je ne t'ai pas appelé, mon fils. Retourne te coucher.” Samuel ne connaissait pas encore le Seigneur, et la parole du Seigneur ne lui avait pas encore été révélée. Une troisième fois, le Seigneur appela Samuel. Celui-ci se leva. Il alla auprès d'Éli, et il dit : “Tu m'as appelé, me voici.” Alors Éli comprit que c'était le Seigneur qui appelait l'enfant, et il lui dit : “Retourne te coucher, et si l'on t'appelle, tu diras : Parle, Seigneur, ton serviteur écoute.” Samuel retourna se coucher. Le Seigneur vint se placer près de lui et il appela comme les autres fois : “Samuel ! Samuel !” et Samuel répondit : “Parle, ton serviteur écoute”… Samuel grandit. Le Seigneur était avec lui, et aucune de ses paroles ne demeura sans effet. » (1 S 3, 4-10.19)
Nicola, à 15 ans
C’est par un prêtre de l'Ordre de saint Camille, le père Santino, son concitoyen, que l’appel divin se concrétisa pour Nicolino. Le Religieux lui proposa d'entrer au séminaire camillien de Rome. Mais qui est Camille de Lellis ?
Saint Camille de Lellis est né en Italie, à Bucchianico, dans les Abruzzes, le 25 mai 1550. Après une jeunesse dissipée, il se convertit à l'âge de vingt-cinq ans pour se dévouer au service des malades. Réformateur dans le domaine de la santé, il fonda une nouvelle école de charité, centrée sur le malade en tant que personne. Ce fut le début de l'Ordre des Serviteurs des Malades, appelé aussi les pères et frères Camilliens. Il adopta comme signe distinctif une croix rouge qui restera, à travers les siècles, le symbole de l'amour envers les personnes souffrantes. Il est mort à Rome, le 14 juillet 1614, en laissant quinze maisons, huit hôpitaux et une congrégation en plein essor. Canonisé par le Pape Benoît XIV en 1746, Camille de Lellis a été déclaré, aux côtés de saint Jean de Dieu, patron des malades par le Pape Léon XIII en 1886, et patron du personnel des hôpitaux par le Pape Pie XI en 1930. Sa fête est célébrée le 14 juillet.
Saint Camille de Lellis
Nicola accueillit la proposition du père Santino avec joie et fit immédiatement part de sa décision à ses parents. Ceux-ci s'y opposèrent : sa mère, parce qu'elle le voulait au séminaire diocésain de Chieti, la ville toute proche, son père, parce qu'il envisageait mal de perdre de bons bras prometteurs pour les travaux des champs. Nicolas était l'aîné ; un second garçon, Thomas, était né par la suite au foyer de Giovanni et de Virginia. Ce dernier rendait déjà de bons services à la maison et aux champs, selon les possibilités de son âge. De plus, deux tantes paternelles célibataires vivant avec la famille lui promettaient de faire de lui leur unique héritier s'il restait. L'opposition de la famille dura un an, un temps que Nicolino vécut dans la prière et dans l'étude.
Il obtint finalement l'autorisation d'entrer au séminaire des Camilliens à Rome. Il y arriva le 3 octobre 1955. Dans ce séminaire bien rempli, le jeune Nicola ne se déroba pas aux observations de ceux qui devaient repérer les signes d'une vocation sûre. On remarqua immédiatement le sérieux de son désir de travailler sur lui-même en se confiant totalement à ses supérieurs dans la direction spirituelle. Deux ans après, il apprit que son père voulait le reprendre et le ramener à la maison. Il écrivit alors une lettre très forte dans laquelle il l'informait de sa volonté bien arrêtée de continuer vers le sacerdoce dans l'Ordre Camillien à n'importe quel prix. Toute la vie de Nicola sera d'une sincérité vraie. Beaucoup de raisons l'avaient poussé à sa décision, entre autres cette déclaration de saint Jean Bosco : « La plus belle bénédiction pour une famille est d'avoir un fils prêtre. »
Le 6 octobre 1960, il reçut l'habit de l’Ordre des Serviteurs des Malades, commençant ainsi son année de noviciat. Il commençait ainsi sa vie de novice. A la fin de la retraite préparatoire à cette étape importante de sa vie, il avait écrit : « Seigneur Jésus, si je devais un jour rejeter le saint habit comme tant d'autres, fais que je meure avant de le recevoir pour la première fois ; je n'ai pas peur de mourir maintenant, je suis dans ta grâce. Quelle belle chose de pouvoir venir te voir avec Marie, ta mère qui est aussi la mienne. » Après son année de noviciat que les membres du chapitre jugèrent sérieuse et excellente, Nicola prononça pour trois ans les vœux de pauvreté, de chasteté, d'obéissance et de service envers les malades, même contagieux ; c’était le 7 octobre 1961, en la fête de Notre-Dame du Rosaire. Débutait pour lui son temps de formation comme Religieux Profès Camillien. Il était serein et heureux, disponible à tous, fidèle à l'observation de la vie commune, assidu à la prière et appliqué aux études, toujours humble et simple. Ses supérieurs immédiats furent ses guides et les témoins de ses progrès dans la vie spirituelle. Il avait un ardent amour pour Jésus Eucharistie ; il recevait quotidiennement la Communion et visitait souvent le Saint-Sacrement au cours de la journée dans l'église du séminaire ou de l'Université Grégorienne. Il avait aussi une dévotion tendre et filiale envers la Vierge Marie, mais sans mièvrerie aucune. Il avait aussi un attachement spécial à sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus, dont il adopta pour lui-même la spiritualité de la petite voie.
Nicola nourrissait un amour profond envers son Père et Fondateur saint Camille. Il en étudiait à fond l'esprit : « secourir les malades, à l’exemple du bon samaritain, parce que la personne même de Jésus-Christ est présente dans le malade. » Il rêvait à des journées intenses de travail au service des malades lorsqu'il serait devenu prêtre, à l’exemple du Fondateur. « Saint Camille voyait dans le malade Jésus qui souffre et il fut un témoin de l'amour du Christ pour chaque personne. Comme Jésus dans sa vie aimait s'approcher des malades, des estropiés, des sourds et des aveugles, en les touchant et en les bénissant, ainsi, Camille tentait de leur offrir les soins médicaux possibles à cette époque et de leur communiquer toujours le réconfort et l'espérance » (Homélie de Mgr Giovanni Battista Re pour le 450° anniversaire de la naissance de saint Camille de Lellis, vendredi 14 juillet 2000). Déjà pendant son noviciat, Nicola avait vécu intensément le charisme camillien. Il s’était distingué de manière particulière – mais dans la discrétion – à l'occasion de l'assistance apportée à un confrère âgé, le Père Del Greco, atteint d'une grave tumeur au visage. Nicola avait dit à ce père à l'occasion du Vendredi Saint : « Père, unissez vos souffrances à celles de Jésus agonisant : aujourd'hui, nous sommes le vendredi-saint, belle journée pour vous qui souffrez avec Jésus. » Rappelons toute fois qu’il ne s’agit pas de souffrir pour le plaisir de souffrir ! Ce n’est en aucun cas du dolorisme ! Le Christ, lui, a souffert pour nous et notre salut ! Nos souffrances, nous pouvons, par contre, les associer à celle de Jésus. C’est ce qu’a voulu dire le frère Nicola.
Il était impatient d'acquérir les connaissances qui lui étaient proposées, estimant qu'elles étaient nécessaires pour remplir dignement son ministère sacerdotal au service des frères souffrants. Pendant le court espace de temps qu'il a vécu comme étudiant camillien, il a fait preuve d'un grand amour et d'un grand attachement à sa famille religieuse. Il se disait heureux de rester dans la maison religieuse et ne s'accordait pas facilement des sorties. Il consacrait son cœur, ses moyens et son temps aux diverses urgences et nécessités de la communauté religieuse.
Vers la fin de 1962, Nicola commença à ressentir les premiers symptômes de la maladie qui allait l'emporter à l'âge de 21 ans. Dès les premiers instants, il se soumit avec obéissance aux décisions des supérieurs et des médecins. En juillet 1963, il fut opéré à l'hôpital Saint-Camille de Rome. L'examen de la partie prélevée donna la réponse sans équivoque : issue fatale à brève échéance : tumeur maligne appelée tératosarcome (sarcome : type de cancer qui se forme dans les tissus conjonctifs, ou mous, comme le cartilage, les tissus fibreux et les muscles, ou dans les os). Sa convalescence dans la maison des aumôniers de ce même hôpital le fit apparaître comme un malade patient et toujours souriant, attentif à ne pas déranger les confrères.
Plus tard il subit une cobaltothérapie ; le médecin traitant espérait enrayer le mal. Son comportement à cette période fut un grand exemple pour tous en raison de la patience qu'il manifesta à supporter les douleurs et de la disponibilité qu'il témoigna à faire la volonté de Dieu, quelle qu'elle fût. A cause des nombreux traitements et examens qu’on lui fit subir, il se douta dès cet été qu'il était atteint d'un mal d'une très grande gravité. A la reprise de l'année scolaire, les supérieurs l'inscrivirent pour une année de philosophie à l'Université Pontificale Grégorienne, bien qu'il fût déjà profondément touché par le cancer. Là aussi on nota son application, sa sérénité et sa bonté d'âme. Début 1964, on lui fit une nouvelle radiographie du thorax. Le poumon droit parut atteint en grande partie par le mal. Nicolas se rendit définitivement compte de son véritable état de santé, bien que personne ne lui eût encore jamais parlé de la gravité de son état ; tous cherchaient plutôt à lui cacher la situation désormais sans espoir.
A la fin du mois de mars, il demanda un entretien à son supérieur provincial pour que celui-ci lui dît franchement quel était son véritable état de santé. Mis au pied du mur, celui-ci ne put cacher la vérité… Connaissant donc la réalité, il ne sombra pas dans le désespoir, mais après un moment d'intense réflexion qu'il passa entièrement devant le Saint-Sacrement dans l'église du séminaire, il reprit son sourire habituel et pria davantage en consacrant de longs moments à la méditation. A l'occasion de conversations avec ses amis sur la réalité d'une mort imminente, il n'évitait pas la question, ne la dramatisait pas, mais il l'abordait avec paix et détachement. Ceux qui ont été proches de lui se rappellent qu'ils avaient eu le sentiment de rencontrer une personne qui vivait dans les réalités d'un au-delà déjà présent dans son existence. Dans le secret espoir d'obtenir un miracle, les supérieurs l'envoyèrent en pèlerinage à Lourdes et à Lisieux. Nicola y alla par obéissance, mais plutôt avec l'intention de demander l'aide de la Vierge Immaculée et de sainte Thérèse, afin de faire la volonté de Dieu jusqu'en ses extrêmes conséquences, uni sereinement à la Croix du Christ.
Nicola, à Lourdes
Une dispense du pape Paul VI lui permit de faire ses vœux perpétuels. Au jour de la Fête-Dieu, le 28 mai, il se consacrait à Dieu pour toujours dans l'église du séminaire camillien à Rome : dernier acte d'amour d'une vie brève mais vécue intensément « dans la prière et dans l'amour ». Le 5 juin, fête du Sacré-Cœur de Jésus, il reçut en pleine conscience l'onction des malades à la fin de la messe célébrée dans la chambre qui l'hébergeait depuis quelques mois au rez-de-chaussée, pour faciliter ses déplacements que désormais il ne pouvait plus faire qu'en fauteuil roulant, et pour permettre la visite de sa mère et celle de nombreux amis. Ce fut un moment d'intense émotion pour de nombreux confrères. Les derniers jours de sa vie terrestre furent une terrible et dramatique souffrance continue. Nicola vécut ces souffrances avec héroïsme, en union avec la Croix du Christ. Il invoquait l'aide de Marie, de saint Camille, de sainte Thérèse de l'Enfant Jésus, toujours paisible, sans jamais sombrer dans le désespoir, veillant à ne pas causer d'ennui à ceux qui l'assistaient et s'efforçant de cacher le plus possible les inévitables réactions causées par la souffrance, afin d'éviter de faire de la peine à sa mère qui était auprès de lui. Même pour ceux qui le connaissaient depuis son enfance, cette extraordinaire confiance en la volonté de Dieu provoqua admiration et respect.
Le 12 juin fut le dernier jour terrestre pour Nicola. Il passa par une longue agonie qui dura plus de cinq heures, après une journée passée dans la prière, dans l'affirmation d'une foi profonde et d'un ardent amour pour Jésus et Marie, avec l'aide de ses deux saints préférés, et le réconfort de la prière émue des confrères et amis. La fleur était prête à être coupée par le jardinier… « Jésus, je suis prêt, viens me prendre ! Notre-Dame, Vierge Marie, je ne suis pas digne, c’est vrai, mais tu sais combien je t’aime ! Jésus, je t’aime ! » Telles furent ses dernières paroles.
Fr. B