« C'est pourquoi je vais le séduire,
je le conduirai au désert et je parlerai à son cœur »
(d’après Os 2,14)
Saint Romuald, le dernier Père du désert (950-1027)
Je vous propose de rencontrer un Saint, quelque peu atypique : saint Romuald. Il est fêté le 19 juin. Mais pour bien appréhender ce saint, faisons un retour en arrière de quelques siècles, car Romuald s’inscrit dans une longue tradition qui puise ses origines à la naissance du monachisme.
Brève histoire monastique
Dès le quatrième siècle, des chrétiens d'Égypte, de Syrie, de Gaule, d'Italie se retirèrent à l'écart du monde pour vivre en solitaires ou regroupés en petites communautés. Leur but n'était autre que de vivre le radicalisme de l'Évangile. Ces moines les plus connus sont sans aucun doute ceux d’Egypte, de Palestine et de Cappadoce (Turquie actuelle).
Saint Antoine le Grand (251-356)
Il est né en Égypte à Qeman (Fayyoum). Fervent chrétien, dès l'âge de vingt ans il prend l'Évangile à la lettre et distribue tous ses biens aux pauvres, puis part vivre dans le désert en ermite dans un fortin à Pispir, près de Qeman. Là, à la manière du Christ, il subit les tentations du Diable ; mais si pour le Christ cela ne dure que quarante jours, pour Antoine c'est beaucoup plus long et plus difficile, les démons n'hésitant pas à s'attaquer à sa vie. Mais Antoine résiste à tout et ne se laisse pas abuser par les visions tentatrices qui se multiplient. En 312 il change de désert et va en Thébaïde, sur le mont Qolzum (où se trouve aujourd'hui le monastère Saint-Antoine). Le Diable lui apparaît encore de temps en temps, mais ne le tourmente plus comme autrefois. Vénéré par de nombreux visiteurs, Antoine leur donne à chaque fois des conseils de sagesse, les invitant à la prière plutôt qu'à la violence.
Saint Antoine est à l’initiative de la vie anachorétique, c’est-à-dire érémitique ou solitaire. Les ermites vivent seuls et se retrouvent pour des temps de prière en commun.
Saint Antoine le grand
Saint Pachôme (286-346)
Il est le fondateur de la vie cénobitique. Les moines ont une vie communautaire. Pachôme est sans conteste le père du monachisme cénobitique qu'il a su porter d'emblée vers l'une de ses plus hautes réalisations. Méditation constante de la Parole de Dieu, vie fraternelle intense assumant aussi bien la vie liturgique que le travail manuel : telles sont les grandes caractéristiques du mode de vie inauguré par Pachôme à la lumière de l'Évangile et de l'expérience des premiers ascètes qui l'ont précédé.
Saint Pachôme
Saint Basile le Grand (330-379)
Il est né en Cappadoce d’une famille de dix enfants qui deviendront presque tous des saints. La foi et le désir de perfection l’animent. De retour en Cappadoce, il fait des projets monastiques, mais l'Eglise a besoin d'évêques dynamiques en cette période troublée par les hérésies. Basile devient évêque de Césarée. La forte personnalité de Basile en fait un évêque de premier plan qui défend la foi trinitaire. Il rédige également des règles monastiques, qui sont encore en vigueur dans les monastères « basiliens » de nos frères Chrétiens orthodoxes.
Saint Basile
Les siècles suivants, surtout en Occident, virent surgir des maîtres spirituels qui mirent par écrit les fruits de leur expérience sous forme de règles monastiques : celles-ci ont servi à guider la vie de plusieurs générations de moines.
Saint Benoît de Nursie (480-547)
Il fut l'un de ces maîtres spirituels : aujourd'hui encore, les Bénédictins, les Camaldules, les Cisterciens et les Trappistes suivent la règle de saint Benoît. Il est, à juste titre, le Patriarche des Moines d’Occident. (voir sa biographie sur ce site)
Saint Benoît d'Ariane (750-821)
Il fut chargé par l'empereur Charlemagne d'implanter la Règle de saint Benoît dans les monastères de son empire. Ces monastères, et surtout celui de Cluny, connurent alors des siècles de prospérité.
Saint Benoît de Nursie (à gauche) et Saint benoît d’Aniane (à droite)
Saint Bruno (+1101)
Il a fondé la Chartreuse en 1084, mêlant harmonieusement vie érémitique et vie cénobitique.
Saint Bruno
Saint Robert de Molesme (v.1029–1111)
Il était Abbé Bénédictin. Lui et quelques moines, désireux de revenir à la simplicité de la Règle de saint Benoît, quittèrent leur moutier pour s'établir à Cîteaux en 1098. Saint Albéric et Saint Etienne Harding lui succédèrent dans l’Abbatiat. Quelque cinquante ans plus tard, sous l'impulsion et l'influence de saint Bernard de Clairvaux (1090-1153), des centaines de monastères cisterciens peuplaient l'Europe.
Saint Romuald, l’Ermite – Prophète
Romuald naquit en 951 dans la famille des Honesti, ducs de Ravenne et grandit dans le confort, le goût des plaisirs, la vie facile de son milieu aristocrate.
Il demeurait inconsolable d'avoir été témoin du meurtre de l'adversaire de son père, Serge, lors d'un duel. Pour expier, il prit l'habit bénédictin dans le monastère de saint Apollinaire-in-Classe où il resta pendant trois ans. Là, des religieux jaloux de sa conduire exemplaire complotèrent de le faire mourir. Averti par un des complices, il se retira dans la solitude, non loin de Venise, auprès d'un ermite nommé Marin et y passa trois ans.
En 978, Romuald et Marin accompagnèrent en France le doge de Venise Pierre Orseolo. Il vécut dans la solitude, près de l'abbaye Saint-Michel de Cuxa. C'est alors qu'il décida d'en sortir pour réformer l'ordre de Saint-Benoît et parcourut la France, l'Italie…
Entre temps, Romuald apprit que son père, qui s'était fait religieux, songeait à retourner dans le monde. Il lui rendit visite et l'en dissuada. Il reprit alors la route et fonda en 1012 à Camaldoli en Toscane un monastère d’un type nouveau où la vie commune alliant travail et offices bénédictins se conjuguaient avec l’érémitisme. Les moines abandonnèrent l’habit noir pour l’habit blanc et portèrent la barbe pleine. Bien d'autres monastères camaldules verront le jour à travers l'Europe du vivant de Romuald et plus tard à travers le monde. Camaldoli donna son nom à la branche bénédictine qu’il fonda : les Camaldules.
Les plus grands, les plus puissants, lui rendaient visite, lui demandaient conseil, se confiaient à lui et se convertissaient, se dépouillant de toutes leurs richesses pour marcher dans les pas de leur guide. Romuald refusait systématiquement titres et honneurs, allant parfois jusqu'à simuler la folie pour s'en dégager et conserver une vie ascétique.
Souvent, en célébrant la messe, il éclatait en sanglots, ce qui dénote à quel point ce serviteur de Dieu était un homme libre et aimant. C'est précisément cet esprit de liberté qui se reconnaît dans l'enseignement de Romuald, dans ses conseils si simples et si discrets, générateurs de paix et de joie, qui rappellent les dires des Pères du désert.
On retient aussi son immense bonté à l'égard des pauvres, des méprisés de la vie, des animaux de toutes espèces qui venaient librement à lui.
On se souvient enfin de cette phrase du saint qui s'écriait dans la joie de son cœur :
« Ô cher Jésus,
ô mon bien-aimé,
mon doux miel,
mon ineffable désir,
douceur des saints,
suavité des anges ! »
Comme il l’avait prédit vingt ans plus tôt à ses frères, il vint mourir au monastère de Val di Castro le 19 juin 1027. Il y eut tant de miracles sur sa tombe, où son corps était resté intact, qu’il fut canonisé.
Son sarcophage est visible en l'église Saint-Romuald (Chiesa di San Romualdo) de Fabriano.
L’esprit de saint Romuald aujourd’hui
Comment un moine aussi éloigné de notre époque survoltée peut-il nous aider ? La plupart des Chrétiens ne vit pas dans un monastère ! Alors ?
Toute notre vie, que l’on soit laïc dans le monde ou moine, doit être une marche à la suite du Seigneur dans une fidélité à l’Evangile.
La foi d’un moine n’est pas « meilleure » que celle d’une maman, ou d’un employé de bureau ! Nous avons tous à travailler avec cœur à l’édification du Royaume de Dieu, chacun selon les dons qu’il a reçus de Dieu !
Sacro Eremo Tuscolano, Italie (Ermites Camaldules de Montecorona)
Et saint Romuald ?
Il nous apprend à tout « recentrer » sur le Christ, Unique but de notre vie ! Notre cœur peut devenir ce « saint ermitage » ou Jésus nous attend ! Qu’on puisse dire de nous un jour, comme on l’a dit de Romuald : « Plus que jamais, son visage était rayonnant de la paix et de la joie de Dieu. » L’amour est un autre message du saint moine. Un ermite camaldule écrivait récemment : « L’amour seul donne du prix à la vie. » Aimer Dieu, aimer son prochain comme soi-même, quel magnifique programme de vie !
ANNEXE
Hymne :
Ô suprême béatitude, ô sainte solitude,
Qui pourra proclamer dignement tes louanges ?
Toi, vie, douceur, repos, refuge,
Toi, chemin de la gloire.
Les saints d'hier hantaient les grottes du désert,
Et voici qu'aujourd'hui, les ermites camaldules
Au sommet des montagnes ou au cœur des forêts.
Chacun habite en rigoureuse solitude,
Mangeant, priant et pleurant ses péchés
Dans sa cellule, nettement séparée
De celle de ses frères.
Sept fois le jour, en silence, ils se rassemblent à l'oratoire
Et tout dévotement célèbrent l’Œuvre de Dieu
Le louant d'un seul cœur
Et la nuit et le jour.
Si l'un d'entre eux aspire à une longue solitude
Et désire goûter une vie de profonde retraite,
Reclus en sa cellule, dans la paix il demeure
Le cœur rivé au ciel.
Fils béni des ducs de Ravenne,
Celui-ci épousa, par grâce, la plus austère des vies.
Célèbre par ses miracles, plus encore par ses mérites
Il triomphe dans le Paradis.
Ils s'emparent de tous les recoins des forêts,
Méprisent les trésors de ce monde éphémère
Et choisissent de plaire à Dieu seul
Dans leurs solitudes.
Oraison :
Tu as voulu, Seigneur, que saint Romuald restaure dans l’Eglise la vie érémitique ; * donne-nous de renoncer à nous-mêmes pour suivre le Christ, / et de parvenir ainsi au royaume des cieux. Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur et notre Dieu, qui règne avec toi et le Saint-Esprit, maintenant et pour les siècles des siècles.
R/ Amen.