« Je suis un pauvre frère qui prie. »
Saint Pio da Pietrelcina
(1887-1968)
Le 16 juin 2002 Jean-Paul II disait dans son homélie pour la canonisation du religieux :
« La raison ultime de l’efficacité apostolique du Padre Pio, la racine profonde de tant de fécondité spirituelle, se trouve dans cette union intime et constante avec Dieu. »
Rappelons-nous que la dévotion que nous pouvons avoir pour tel ou tel saint ou sainte n’est pas une fin en soi. Le but de notre vie, c’est Dieu ; ne l’oublions jamais. Padre Pio, sainte Rita, saint Benoît et tant d’autres saints nous sont donnés comme des amis, des exemples ; ils nous accompagnent dans notre chemin de vie, chemin qui nous conduits à la Très Sainte Trinité. Padre Pio est en lui-même un modèle pour nous, tout entier tourné vers Jésus crucifié et ressuscité.
Le lendemain de la Célébration, Jean-Paul II s’adressa aux pèlerins venus pour la canonisation du Padre Pio :
« Que ce saint capucin, auquel tant de personnes s'adressent de tous les lieux de la terre, nous indique les moyens pour parvenir à la sainteté, qui est le but de notre vie chrétienne. Combien de fidèles de toute condition sociale, provenant des lieux les plus différents et des situations les plus difficiles, accouraient vers lui pour lui poser des questions ! Il savait offrir à tous ce dont ils avaient le plus besoin, et qu'ils cherchaient souvent à tâtons, sans même en avoir pleinement conscience. Il leur transmettait la parole réconfortante et éclairante de Dieu, permettant à chacun de puiser aux sources de la grâce à travers son dévouement assidu au ministère de la confession et la fervente célébration de l'Eucharistie. »
Padre Pio fut avant tout un homme de prière, le cœur rempli d’humilité et de modestie, débordant de charité pour tous et en particuliers pour les plus pauvres et les plus petits, animé de l’esprit d’obéissance. Le Saint Père reprend :
« Saint Pio de Pietrelcina se présente ainsi devant tous - prêtres, religieux, religieuses et laïcs - comme un témoin crédible du Christ et de son Évangile. Son exemple et son intercession incitent chacun à un amour toujours plus grand envers Dieu et à une solidarité concrète à l'égard de notre prochain, en particulier du plus démuni. »
Jean-Paul II l’a appelé à juste titre le « frère du peuple », le « saint de la miséricorde ».
Résumer la vie de Padre Pio n’est pas chose facile, tant elle est riche en évènements de toutes sortes. Nous avons donc fait le choix de la simplicité.
Le 25 mai 1887, à Pietrelcina, province de Bénévent, dans la région de Campanie, naît Francesco Forgione. Ses parents ont pour nom Grazio Forgione et Maria Giuseppa Di Nunzio. Il reçoit le baptême le lendemain. La famille Forgione n’était pas riche mais la maison et les terres lui appartenaient.
Cependant la vie est rude en cette fin de XIX° siècle. Beaucoup d’Italiens du Sud émigrent aux États-Unis. Grazio Forgione s’embarquera pour New-York en 1898 ; Padre Pio dira souvent avec émotion que son père a dû s’exiler à deux reprises pour qu’il puisse devenir capucin.
Le taux de mortalité infantile est très élevé. La famille Forgione ne sera pas épargnée par la mort et le deuil.
La foi et la prière rythment la vie de la famille et spécialement celle du jeune Francesco. C’est un enfant qui aime la solitude et le calme. Il fuit les jeux brutaux. Il a horreur de la violence, de la vulgarité et des écarts de langage.
Très tôt, Francesco a une vie intérieure intense. Mais cela n’en fait pas un enfant coupé des autres, replié sur lui-même, bien au contraire. L’avenir le confirmera.
Jésus n’a-t-il pas ouvert la voie ? En effet, dans les évangiles, nous voyons très souvent Jésus prier. Jésus aime son Père. De ce fait, Jésus aime prier. Il y consacre du temps. La prière précède ou accompagne ses actes les plus importants. Jésus s’isole pour ce tête-à-tête avec le Père. Toute la vie de Jésus est Prière à son Père ! Par notre foi en Dieu, nous sommes devenus des frères et des sœurs de Jésus. Avec Jésus, animés par l'Esprit, nous pouvons prier Dieu en l'appelant “ Père ” !
Padre Pio puisera la force d’accomplir sa mission dans la prière quotidienne.
A ce propos, il n'a pas écrit de traité de spiritualité. Mais, dans ses lettres comme dans ses entretiens, il a laissé des conseils pour la vie chrétienne. Certains de ses propos peuvent être entendus par d'autres que ceux à qui Padre Pio les a immédiatement écrits ou dits. Cela est vrai, entre autre, de la vie de prière et de ses difficultés. Et en ce domaine, il était plus qu'un maître... Il écrit :
« Dans les livres nous cherchons Dieu, dans la prière nous le trouvons. La prière est la clé qui ouvre le cœur de Dieu. »
Voici aussi ce qu’il a écrit comme conseil sur la prière, conseil qui peut certainement nous éclairer et nous aider.
« Si tu peux parler au Seigneur (dans l'oraison), parle-lui, loue-le, écoute-le ; et si spirituellement tu ne peux lui parler, ne t'en fais pas, renferme-toi dans ta chambre, fais-lui la révérence. Il te verra, il appréciera ta patience, il favorisera ton silence et, une autre fois, tu seras consolée quand il te prendra par la main, te parlera, fera cent promenades avec toi par les allées de son jardin d'oraison. Si cela n'arrivait jamais, ce qui serait impossible, contente-t'en - puisque notre devoir est de le suivre. Cependant, un Père si tendre ne peut avoir le cœur de voir sa créature en perpétuel flottement. Ainsi, lui parler ne sera pas pour toi cause de souci, car rester simplement auprès de lui n'est pas moins utile ; cela l'est même davantage, bien que ce soit moins à notre goût. Donc lorsque tu seras près de Dieu dans l'oraison, considère ta vérité, parle-lui si tu le peux, et si tu ne le peux pas, arrête-toi, fais-toi voir, et ne te fais pas de souci. »
Le désir de solitude du jeune Francesco est attisé par son goût pour la lecture. Sa maman lui raconte la vie de saint François d’Assise, récits merveilleux tirés des Fioretti. Il va à l’école le soir, après les travaux des champs.
A 15 ans, il se sent appelé à la vie religieuse franciscaine. Le 6 janvier 1903, il quitte sa famille. Sa décision a été mûrement réfléchie, mais la séparation est déchirante… Il n’a que 16 ans !
Accompagné de deux amis, il se rend au couvent des Capucins de Morcone.
Les « Frères Mineurs Capucins » font partie d'une des trois branches actuelles de la famille franciscaine. Elle a été fondée en Italie dans la première moitié du XVI° siècle. Les fondateurs souhaitaient un retour à la règle de saint François et à une plus grande pauvreté. Les Capucins tirent leur nom de leur vêtement, fait d’une tunique grossière et d’une capuche longue et pointue (« capuccio » en italien). Le sobriquet populaire de « capuccini » devint vite leur nom officiel. Leur premier nom était : « Frères Mineurs de Vie Érémitique ». Les Capucins remplissaient les mêmes tâches de prédication et de missions que les Franciscains, mais surtout une action sans compromission envers les malades et les pestiférés.
Francesco prend l’habit le 22 janvier1903 et s’appellera désormais frère Pio da Pietrelcina.
La vie est rude pour le jeune novice ! La Règle et la discipline sont rigoureuses. Les religieux se lèvent à minuit pou l’Office des Matines. L’alimentation, peu variée, est servie en petite quantité. De nombreux jeûnes rythment le calendrier. Les repas sont pris en silence, certains à genoux. Padre Pio se souvient :
« Dès que nous avions terminé notre déjeuner, qui consistait en trois ou quatre petits morceaux de pain cuit, on allait devant le Père supérieur pour le remercier du déjeuner que la Providence nous avait donné, et l’on restait à genoux jusqu’au moment où il nous disait de retourner dans notre cellule. »
Toutes ces pratiques ont certainement contribué à l’altération de la santé de frère Pio à cette période. Mais ce qui l’a sans doute le plus contrarié est la carence intellectuelle dans ce temps du noviciat. Les seules lectures autorisées étaient les règles et les constitutions de l’ordre des Capucins. Padre Pio raconte :
« … Il n’y avait aucun livre, ni sacré, ni profane. Aux novices, on permettait – et c’était même obligatoire – de lire seulement une quinzaine de pages, et quand on avait terminé, on recommençait. Imaginez ce que cela signifie, pendant toute une année. »
Le 22 janvier 1904, Frère Pio fait Profession temporaire. Quelques jours après, il part de Morcone pour se rendre à une soixantaine de kilomètres dans le couvent Sant’Elia à Pianisi. Il va y suivre une formation intellectuelle. En octobre 1905, la communauté quitte Sant’Elia à cause de travaux et se rend au couvent de San Marco la Catola, dans un cadre enchanteur. En avril 1906, Frère Pio retourne à Sant’Elia pour achever sa philosophie.
Le 27 janvier 1907, il fait Profession solennelle.
Il entreprend sa théologie au couvent de Serracapriola, près de la Mer Adriatique. Cette formation le mènera à la prêtrise.
Jeune déjà, Francesco (nom de baptême de Padre Pio) n’était pas de constitution robuste… Frère Pio devra « abandonner » à plusieurs reprises la vie conventuelle à cause de sa maladie respiratoire. Il fera quelques séjours de convalescence dans sa famille à Pietrelcina.
Malgré son état de santé, Frère Pio continue à suivre ses études.
Il est ordonné diacre le 18 juillet 1909 dans l’église du couvent de Morcone.
Puis il suit un cours de théologie morale.
Mais sa santé décline, il pense à la mort et son désir de devenir prêtre n’a jamais été aussi fort ! Il a vingt-quatre ans. Il écrit au père Benedetto, Provincial des Capucins :
« Depuis longtemps, j’essaie d’étouffer dans mon cœur un très vif désir. Mais je vous avoue que tous mes efforts n’ont réussi qu’à l’amplifier davantage […]. Plusieurs personnes qui, je crois, connaissent les dernières décisions du Saint-Siège, m’ont donné l’assurance que si vous sollicitiez la dispense pour mon ordination, expliquant mon actuel état de santé, on pourrait tout obtenir […]. Ainsi, si Dieu, le Très-Haut, par miséricorde, a décidé d’enlever les souffrances de mon corps en abrégeant mon exil sur la terre, comme j’en ai l’espoir, je mourrai très heureux, car je n’ai plus, sur cette terre, aucun autre désir… »
La dispense est acceptée ! Frère Pio est convoqué pour un petit examen oral en théologie ; les examinateurs sont satisfaits.
Il est ordonné prêtre le 10 août 1910 dans la cathédrale de Bénévent. Il fait imprimer ce petit texte sur les images de son ordination :
« Jésus
mon souffle et ma vie
aujourd’hui en tremblant
je t’élève
dans un mystère d’amour
qu’avec toi je sois pour le monde
Voie, Vérité, Vie
et pour toi prêtre saint
victime parfaite. »
Le lendemain Padre Pio célèbre la messe dans son village de Pietrelcina. La joie est au rendez-vous ! Il dira au sujet de son ordination :
« Comme j’étais heureux, ce jour-là. Mon cœur était brûlant d’amour pour Jésus […]. J’ai commencé à goûter le paradis. »
Assez tôt dans sa vie, Padre Pio eut des « expériences mystiques », à la fois positives et négatives, c’est-à-dire certaines venant de Dieu et d’autres du Malin. Toute son existence, il a mené un combat spirituel mais a été aussi comblé de consolations et de grâces divines. En novembre 1910, il écrit :
« Les luttes spirituelles ne cessent décidément pas, elles se font même encore plus ardues. L’ennemi de notre santé est tellement enragé qu’il ne me laisse pas un seul instant en paix. »
La vie de Padre Pio sera marquée par la Croix du Sauveur, jusque dans sa chair ! Pour Jésus, la Gloire de la Résurrection passera par la Crucifixion ; il l’annonce à ses disciples :
« Le Fils de l’homme, dit-il, doit souffrir beaucoup, être rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, être tué et, le troisième jour, ressusciter » (Lc 9,22).
Padre Pio va l’expérimenter :
« Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croix chaque jour, et qu’il me suive » (Lc 9,23).
Mais Jésus n’abandonne pas ses amis. Il a dit à ses Apôtres, le soir de la Cène, dans l’évangile selon saint Jean :
« Je vous ai dit ces choses, pour que vous ayez la paix en moi. Dans le monde vous aurez à souffrir. Mais gardez courage ! Moi j’ai bel et bien vaincu le monde » (Jn 16,33).
Le couvent se situe à la sortie du bourg, à 600 m d’altitude. C’est un « désert », refuge privilégié pour les chercheurs de Dieu. La vie des Capucins y est austère, la nourriture frugale. Padre Pio se sent à l’aise dans ce havre de paix et de prière.
Après quelques péripéties par rapport à l’armée (visites médicales, nouvelles permissions de convalescence, réintégration, puis réforme), Padre Pio revient enfin à San Giovanni Rotondo. Il y restera jusqu’à sa mort. Il se met à l’ouvrage : direction spirituelle, confession, groupes de prières, lettres, conférences…
Hélas, Padre Pio va se retrouver au milieu d’une tourmente, suite aux stigmates qu’il a reçus. Capucins, Clergé séculier, Saint-Siège, Presse, tout le monde y va de son couplet… On lui ordonne de ne plus célébrer la messe devant les fidèles, de plus en nombreux. Padre Pio obéit… En 1923, le Saint-Siège fait paraître un texte officiel. Le Capucin écrit :
« Je crois qu’il n’est nul besoin de vous dire combien moi-même, grâce à Dieu, je suis disposé à obéir à n’importe quel ordre qui m’est notifié par mes supérieurs. Leurs voix, pour moi, c’est celle de Dieu auquel je veux garder ma confiance jusqu’à la mort… »
Ce qu’il craint, c’est de ne plus pouvoir célébrer l’Eucharistie :
« Qu’ils fassent de moi ce qu’ils veulent. Il suffit qu’ils ne m’interdisent pas de célébrer la messe et de recevoir Jésus dans mon cœur. »
Mais ne rentrons pas plus dans les détails. Ce que l’on peut dire, c’est que celui qui obéit ne se trompe jamais. Le 17 juin 2002, le Pape Jean-Paul II dira :
« Padre Pio accomplit son chemin exigeant d’ascèse spirituelle en profonde communion avec l’Église. Des incompréhensions passagères avec certaines autorités ecclésiastiques ne réussirent pas à modifier son attitude d’obéissance filiale. Padre Pio fut, dans une égale mesure, un fils de l’Église fidèle et courageux, suivant également dans ce sens l’exemple lumineux du Poverello d’Assise. »
Après tous ces moments douloureux, Padre Pio renoue peu à peu avec ses activités à partir de l’été 1933. Il reprend ses directions spirituelles, les confessions…
Il va faire construire un hôpital : « Casa Sollievo della Sofferenza » (Maison du soulagement de la souffrance).
De plus en plus malade, mais tenant ferme, il accomplit son ministère jusqu’au bout !
Le 22 septembre 1968, il célèbre sa dernière messe, donne une dernière bénédiction à la foule… C’est la nuit… Il confie à un père à qui il vient de se confesser :
« Écoute, si le Seigneur m’appelle aujourd’hui, demande pardon pour moi à mes confrères pour tous les ennuis que je leur ai causés. Demande-leur, ainsi qu’à mes fils, de prier pour mon âme. »
Le 23 septembre 1968 à 2h30, Padre Pio rejoint son Seigneur…
« Dieu éternel et tout-puissant, par une grâce extraordinaire, tu as donné au Père Pio de participer à la croix de ton Fils et, par son ministère, tu as renouvelé les merveilles de ta miséricorde ; accorde-nous, par son intercession, d’être sans cesse unis aux souffrances du Christ et de parvenir avec bonheur à la gloire de la résurrection. » (oraison de la messe de saint Pio de Pietrelcina, fêté le 23 septembre)
Fr. B